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Faure, Élie
Histoire de l'art (5): L'esprit des formes — Paris: Éditions d'histoire et d'art, Librarie Plon, 1949

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https://doi.org/10.11588/diglit.71100#0076
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c'est la multitude. On voit, dans le désert chinois, marcher
des statues colossales, guerriers, éléphants, dromadaires,
chevaux liés comme des édifices à la plaine et pareils, dans
la solitude, à ces accidents naturels qui en marquent le
caractère comme le squelette géologique affleurant, et çà et
là perçant le sol. La terre monte en eux, elle les accompagne,
comme elle accompagne partout le cultivateur chinois tout
imprégné d'elle, et à qui ses divinités familières révèlent le
grain de l'humus, la direction du vent, la phase de la lune
ou le temps propice aux labours. Si l'individu s'ébauche, et
bien timidement, c'est, comme aux Indes, à partir du moment
où l'Européen arrive et désagrège l'édifice commun où l'in-
dividu s'abritait. La multiplicité des cultes, fragmentés dans
le fétichisme, n'est qu'une mousse à la surface du rocher
moral immobile que les ancêtres ont dressé. Et si une
peinture émouvante comme des voix mêlées de flûtes, de
hautbois, de harpes, profonde, discrète, émanant d'un espace
abstrait comme une condensation moléculaire, apparaît dans
les convents bouddhiques précisément à l'heure où le boud-
dhisme, entre le viiie et le xiie siècle, tend à rentrer peu à peu
dans le monument social qui ne change que d'écorce, elle ne
quitte pas des thèmes harmoniques où la grande symphonie
individuelle ne songe même pas à s'ébaucher. C'est comme
une tentative effacée de dégager du corps social quelques
rares mélodies. Elle n'interprète l'univers qu'étayée à ses
voisines, causant à voix basse avec elles, murmurant à leurs
côtés, brodant comme un tissu de soie le voile subtil que
l'anachorète pose doucement sur son âme afin que la multi-
tude innombrable des âmes disciplinées ne puisse saisir par
quels insensibles détours il déserte parfois ses chemins. Prise
en bloc, la Chine, sa sculpture, sa céramique et ses bronzes
veinés comme des viscères, est enfermée dans une forme
hermétique et circulaire dont on ne peut sortir. Il faut passer
chez le Japonais, son élève, pour trouver un rythme analogue
à ceux qui ont caractérisé l'Occident. Quand la sculpture,
ici, a rompu les profils bouddhiques pour gesticuler dans le
siècle loin de l'organisme religieux, la peinture est vite
apparue, puis le bibelot, l'article de bazar, la gravure d'ameu-

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