blement, prodromes d'un individualisme en croissance qui
finit par forcer l'armure médiévale mais s'y brise du même
coup.
Le Japon fait tache en Asie. Nous connaissons les noms de
tous ses peintres, les noms de tous ses graveurs, presque tous
ceux de ses sculpteurs après l'époque bouddhique, même
ceux de ses céramistes, de ses forgerons, de ses charpentiers,
de ses jardiniers. Phénomène profond, qui toujours dénote
une analyse sociale effectuée ou en devenir. Si on le retrouve
en Chine seulement à propos de la peinture, c'est-à-dire de
la tentative ébauchée par l'individu pour se différencier un
peu, sinon sortir du corps social, il est tout à fait inconnu
dans l'Inde où pas une seule des vagues de l'océan confus
des formes ne porte un nom. Tout à fait en Égypte, où la
rigueur géométrique de la masse à édifier conditionne une
impersonnalité égale à celle de la science. Presque tout à fait
chez les Arabes, presque tout à fait chez les Persans, sauf au
xvie siècle, dès que, dans la peinture, tend à percer l'individu.
Il est le signe essentiel qui apparaît en Italie dès l'époque
médiévale et s'y répète et s'y multiplie avec une incroyable
profusion alors qu'en France il ne survient qu'au xve siècle (i),
quand l'ouvrier quitte le chantier de l'église pour l'anti-
chambre du château, et dès lors s'accentue de siècle en siècle
jusqu'à la démence, comme dans tout l'Occident. Il marque
également le passage de l'organisme social hellénique aux
tout premiers symptômes de sa dissociation, les noms des
sculpteurs grecs n'apparaissant qu'entre Solon et Pisistrate,
quand sa gaine architectonique commence à gêner la statue.
Et son absence frappe d'autant plus à Byzance qu'on y
assiste, pour quatre ou cinq siècles, à l'anéantissement de
l'individualisme grec absorbé pêle-mêle par le panthéisme
d'Asie avec la sculpture et la peinture rentrées dans la basi-
lique, comme l'individu est rentré dans l'Église pour s'y
refaire un prétexte et un centre de communion.
Rien ne démontre mieux que ces silences périodiques la
(i) Nous ne connaissons les noms des Maîtres d'œuvres que depuis qu'on
a dépouillé les comptes des municipalités. Mais, avant le xve siècle, pas
un seul nom de sculpteur.
— 57 œ
finit par forcer l'armure médiévale mais s'y brise du même
coup.
Le Japon fait tache en Asie. Nous connaissons les noms de
tous ses peintres, les noms de tous ses graveurs, presque tous
ceux de ses sculpteurs après l'époque bouddhique, même
ceux de ses céramistes, de ses forgerons, de ses charpentiers,
de ses jardiniers. Phénomène profond, qui toujours dénote
une analyse sociale effectuée ou en devenir. Si on le retrouve
en Chine seulement à propos de la peinture, c'est-à-dire de
la tentative ébauchée par l'individu pour se différencier un
peu, sinon sortir du corps social, il est tout à fait inconnu
dans l'Inde où pas une seule des vagues de l'océan confus
des formes ne porte un nom. Tout à fait en Égypte, où la
rigueur géométrique de la masse à édifier conditionne une
impersonnalité égale à celle de la science. Presque tout à fait
chez les Arabes, presque tout à fait chez les Persans, sauf au
xvie siècle, dès que, dans la peinture, tend à percer l'individu.
Il est le signe essentiel qui apparaît en Italie dès l'époque
médiévale et s'y répète et s'y multiplie avec une incroyable
profusion alors qu'en France il ne survient qu'au xve siècle (i),
quand l'ouvrier quitte le chantier de l'église pour l'anti-
chambre du château, et dès lors s'accentue de siècle en siècle
jusqu'à la démence, comme dans tout l'Occident. Il marque
également le passage de l'organisme social hellénique aux
tout premiers symptômes de sa dissociation, les noms des
sculpteurs grecs n'apparaissant qu'entre Solon et Pisistrate,
quand sa gaine architectonique commence à gêner la statue.
Et son absence frappe d'autant plus à Byzance qu'on y
assiste, pour quatre ou cinq siècles, à l'anéantissement de
l'individualisme grec absorbé pêle-mêle par le panthéisme
d'Asie avec la sculpture et la peinture rentrées dans la basi-
lique, comme l'individu est rentré dans l'Église pour s'y
refaire un prétexte et un centre de communion.
Rien ne démontre mieux que ces silences périodiques la
(i) Nous ne connaissons les noms des Maîtres d'œuvres que depuis qu'on
a dépouillé les comptes des municipalités. Mais, avant le xve siècle, pas
un seul nom de sculpteur.
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