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Faure, Élie
Histoire de l'art (5): L'esprit des formes — Paris: Éditions d'histoire et d'art, Librarie Plon, 1949

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https://doi.org/10.11588/diglit.71100#0189
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d'innocence est une conquête sans répit sur le doute et le
désespoir. Il semble qu'à mi-chemin des êtres singuliers se
tiennent, surtout dans l'art de France où la mesure sans
apprêts, la confidence discrète, une sorte de familiarité
entre l'objet et l'esprit, une disposition médiocre à la grande
expansion lyrique définissent, à n'importe quelle époque, les
plus parfaits créateurs. Chez l'imagier des xiie et xiiie siècles,
chez Fouquet (i), chez Chardin, chez Corot, on retrouve
cette joie à avouer un émoi charmant, un émoi d'enfant tou-
jours émerveillé de sa découverte du monde, et une simpli-
cité constante à en dire les circonstances qui définit partout
ailleurs le plus humble ouvrier du bois ou de l'argile, de la
fleur ou du verre, de la laine ou du métal. C'est la situation
de La Fontaine, qui appartient comme Shakespeare à la
haute littérature, mais préfère causer avec son jardinier de
la poussée de ses laitues et des mœurs de l'escargot. Privi-
lège unique, il me semble, qui n'ignore peut-être pas le
drame de la création, mais possède la faculté très rare et
miraculeuse de le masquer complètement, alors que hors de
lui c'est le fracas des ailes dans l'orage, un effort haletant,
une tension constante vers un équilibre vertigineux où
l'innocence primitive n'est retrouvée que pour l'espace d'un
éclair. Existe-t-il, ici, dans cette lucidité impitoyable qui ne
perd jamais le gouffre de vue quand elle danse sur les cimes,
plus de profondeur que là, où les pieds foulent le gazon, où
le regard ne semble apercevoir que des horizons limités, faits
de bois et de rivières? Je n'en sais rien. Mais il y a autant
d'amour. Et c'est l'amour qui importe, d'abord. Le douanier
Rousseau est plus près de Michel-Ange que jamais n'en
approchèrent ses plus parfaits imitateurs (2).
(!) Fig. 57.
(2) Fig. 58 et Art Moderne, p. 285.

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