autour du peintre, les sons autour du musicien. Elle ne dif-
fère du poème que par la langue qu'elle parle, et il y a, entre
lui et elle, un échange permanent et entrecroisé d'influences,
le conquérant partant de la Bible ou du Temple qui à leur
tour répandent et légitiment son action. Action bienfaisante
par les édifices matériels ou spirituels qu'elle élève, malfai-
sante par les ruines qu'elle fait, comme le poème lui-même,
l'un et l'autre expression suprême, intensifiée et monstrueuse
de la vie, dévastatrice et fécondante, mais nécessaire à en
propager la formidable indifférence pour le maintien de
l'illusion sans qui elle ne serait pas. Vous ne doutez pas,
j'imagine, de cette action fécondante, vous qui avez entendu
la tempête de la Sixtine, que Shakespeare a bercé dans la
houle des mondes et qui avez senti la royauté du cœur de
l'homme sur les choses dans la musique de Beethoven ou
l'épopée de Balzac? Mais si vous doutez de cette action dévas-
tatrice, comptez les victimes de Phidias, qui furent et sont
encore presque aussi nombreuses que les victimes de Jésus.
Voyez dans quel état Michel-Ange a laissé son Italie, Rubens
ses Flandres, Rembrandt sa Hollande. Le pays où de tels
êtres sont venus semble ravagé, vidé de ses formes, condamné
pour des siècles à la stérilité. Ils ont la puissance du feu. Ils
ne laissent que des cendres. Mais les cendres constituent le
plus riche des engrais.
Si la vie a un sens, c'est donc le sentiment artiste de
l'homme qui le lui impose, par delà le Bien et le Mal, par
delà le Beau et le Laid, par delà le Vrai et le Faux, en créant
dans l'énergie de l'enthousiasme des formes spirituelles
auxquelles la multitude se rallie d'autant plus facilement
que ses maîtres infligent à ces formes une signification senti-
mentale pour lui en faciliter l'accès. Dût-il détruire, dût-il
semer le désespoir pour atteindre l'une de ces formes, la
sienne propre, le poète est celui qui ne cesse d'avoir confiance
précisément parce qu'il ne s'attache à aucun port, ne se fixe
sur aucune ancre, mais poursuit cette seule forme qui fuit
à travers l'orage et se confond sans cesse avec l'éternel
devenir. Il tente de substituer au désordre humain et naturel,
qui le blesse, un ordre divin qu'il ne trouvera jamais, par
— 154 œ
fère du poème que par la langue qu'elle parle, et il y a, entre
lui et elle, un échange permanent et entrecroisé d'influences,
le conquérant partant de la Bible ou du Temple qui à leur
tour répandent et légitiment son action. Action bienfaisante
par les édifices matériels ou spirituels qu'elle élève, malfai-
sante par les ruines qu'elle fait, comme le poème lui-même,
l'un et l'autre expression suprême, intensifiée et monstrueuse
de la vie, dévastatrice et fécondante, mais nécessaire à en
propager la formidable indifférence pour le maintien de
l'illusion sans qui elle ne serait pas. Vous ne doutez pas,
j'imagine, de cette action fécondante, vous qui avez entendu
la tempête de la Sixtine, que Shakespeare a bercé dans la
houle des mondes et qui avez senti la royauté du cœur de
l'homme sur les choses dans la musique de Beethoven ou
l'épopée de Balzac? Mais si vous doutez de cette action dévas-
tatrice, comptez les victimes de Phidias, qui furent et sont
encore presque aussi nombreuses que les victimes de Jésus.
Voyez dans quel état Michel-Ange a laissé son Italie, Rubens
ses Flandres, Rembrandt sa Hollande. Le pays où de tels
êtres sont venus semble ravagé, vidé de ses formes, condamné
pour des siècles à la stérilité. Ils ont la puissance du feu. Ils
ne laissent que des cendres. Mais les cendres constituent le
plus riche des engrais.
Si la vie a un sens, c'est donc le sentiment artiste de
l'homme qui le lui impose, par delà le Bien et le Mal, par
delà le Beau et le Laid, par delà le Vrai et le Faux, en créant
dans l'énergie de l'enthousiasme des formes spirituelles
auxquelles la multitude se rallie d'autant plus facilement
que ses maîtres infligent à ces formes une signification senti-
mentale pour lui en faciliter l'accès. Dût-il détruire, dût-il
semer le désespoir pour atteindre l'une de ces formes, la
sienne propre, le poète est celui qui ne cesse d'avoir confiance
précisément parce qu'il ne s'attache à aucun port, ne se fixe
sur aucune ancre, mais poursuit cette seule forme qui fuit
à travers l'orage et se confond sans cesse avec l'éternel
devenir. Il tente de substituer au désordre humain et naturel,
qui le blesse, un ordre divin qu'il ne trouvera jamais, par
— 154 œ