2- Année.
N* ISO.
PRIX
Charlevillc, le 26 Avril 1916.
azette
Ardeimes
JOURNAL DBS PAYS OCCUPÉS PARAISSANT QUATRE FOIS PAR SEMAINE
Ou s'alxmue dans tons les bureaux de poste
LA GUERRE DE FAMINE
Au fui' et a mesura que les succès militaires de
l'Allemagne et de ses Alliés sont venus détruire, une à
une, les illusions qu'on s'était faites à Londres et
à Paris au sujet de la « victoire certaine », on a pu
voir apparaître et grandir l'espoir fondé sur l'épuise-
ment économique du peuple allemand.
Cet espoir est apparu dans les plus diverses varia-
tions, avec force chiffres à l'appui, sous forme de pro-
phéties ridiculement précises, que les faits ont cruelle-
ment démenties depuis longtemps.
Néanmoins, depuis la conférence de Paris, nous
assistons à une reprise de cet ancien « plan de guerre »,
■t nous le voyons prendre des formes particulièrement
brutale* à l'égard des petits pays neutres et indépen-
dants, suspects de commercer avec l'Allemagne.
Et pendant que l'Angleterre entrave par les moyens
les plus honteux le commerce maritime de la Hollande
et des pays Scandinaves, confisquant les cargaisons et
violant le courrier d'outre-mer, la "France officielle se
charge de crier par le monde, au moyen de sa presse
et de ses agences de propagande tendancieuse, que
l'Allemagne est acculée à la faillite et qu'on y meurt
de faim,- que Berlin, Cologne, Munich, etc., sont en
révolte et que femmes et enfants y ont été mili ail-
lé* par lea <i barbares militaristes », pour avoir doinan-
dé du pain ! ' ■•
Pendant ce temps, l'armée allemande subirait,
d'après oes mêmes journalistes, hécatombe sur héca-
tombe. On raconte aux Parisiens qu'au mépris des
principes les plus élémentaires de la'guerre moderne,
cette armée persisterait à se jeter en masses épaisses
dans le feu des mitrailleuses françaises, sans doute
pour échapper à la mort par la faim dont le spectre
la pousse par derrière 1 — Et il semble qu'il y a tou-
jours encore un public français pour croire ce roman-
feuilleton dramatisé en u film » sensationnel I
Sur le terrain militaire, chacun des Alliés attend
la « victoire n de l'autre ; mais ils croient tous ensem-
ble"» 1' v alliée famine » I En hiver igi4 on disait
aux poilus dans les tranchées :' « Attendez Je prin-
temps] L'Allemagne sera réduite par la faim. >. De
savants économistes fixèrent même des dates pour la
réalisation jfajXM belles illusions '. Mais l'année, ioi_5
s'est ccoulûe, apportant, avec la récolte, de nouvelles
victoires des années allemande;. En hiver igi5. lû petit
j-'U recommença. On répéta- aux braves poilus que
cette fois c'était k sûr », que les » Boches » ne paie-
raient pas le "printemps 1916 I Or, l'Allemagne est dans
une position bien meilleure cette année. Au terrain
de culture dont elle dispose normalement sont venus
s'ajouter les vastes territoires conquis, occupés et cul-
tivés par ses soldats. Partout germe Ta récolte future,
qui dans quelques mois aura mûri I Des terrains,
restés en friches l'an passé, portent aujourd'hui le pain
allemand de demain ! El les gras pâturages nourrissent
les troupeaux soignés, qui assureront le lait aux en-
fants et la viande aux hommes et permettront même
de diminuer sous peu le prix du beurre, — suprême
leurre des journaux boulevardiers !
Au moment où la famine tant espérée berçait en-
core les rêves des journalistes parisiens, un coup déci-
sif est venu les réveiller en sursaut 1 La Roumanie, pays
essentiellement agiicolc, a conclu avec l'Allemagne
l'accord commercial que la «Gazette» a déjà signalé et
qui, en compensation des importations industrielles qui
faisaient défaut à 1a Roumanie, assure définitivement,
bien au delà.du nécessaire, le ravitaillement de l'Alle-
magne. ,
Ici la brutalité anglaise reste sans prise. La Rou-
manie n'a pas les côtes étendues de la Grèce. Ses villes
ne sont pas exposées à la menace des canons britanni-
ques I Elle a donc pu traiter en nation libre, consciente
de ses droits, comme de ses intérêts.
La presse française s'est fort bien rendu compte de
la portée pratique de cet accord. Il suffit de lire cette
conclusion de M. Herbettc, dans l'.< iSçki de Paris >• du
i5 avril :
•( Contentons-nous, pour conclure sans trop aban-
donner le terrain des précisions, de citer les trois nom-
bres que voici. D'après l'inslitut international d'agrkul~
ture de Rome, on peut estimer, en temps de paix, à six
millions de tonnes la quantité annuelle de céréales que
l'Allemagne et VAutriche-Hongrie réunies sont forcées
de se procurer au dehors. Or la Roumanie aurait pro-
duit environ cinq millions de tonnes en ioid et en
iç.i5 six millions. »
Grâce à son incomparable organisation, l'approvi-
sionnement du peuple allemand était assuré avant la
conclusion de l'accord.roumano-allcmand ; aujour-
d'hui les semeurs d'illusion de Paris et de Londres ne
sauraient' eux-mêmes en douter plus longtemps, Leur
u guerre de famine n n'a pas été plus heureuse que
l'autre. Pour alimenter leur propagande trompeuse, il .
\ a falloir qu'ils inventent autre chose I
BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS
Giand Quartier général, le S3 avril 1916
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Nos tranchées nouvellement conquises, à la roule
de Langemarck à Ypres, ont dû être évacuées, l'inon-
dation empêchant toute installation. Vers le matin,
une attaque anglaise à la grenade fut repoussée, au sud
de St-E!oi.
Des patrouilles -anglaises qui, après une forte pré-
paration d'artillerie, s'étaient avancées dans la" nuit
contre nos positions, situées des deux côtés de la route
de Bapaume à Albert, furent rejetéea.
Près de Tracy-le-Val une attaque ennemie au gai
échoua ; le nuage de gaz reflua dans les positions
françaises.
A gauche de la ?Al' ie, au sud-est de Haucourt et à
l'ouest de la haute « Mort-Homme », des tranchées
ennemies furent pîT!«uj. A droite du fleuve, dans la
plaine de Wocvre et sur les hauteurs près de Combles,
l'activité de combat se borna à de violents et continuels
duels d'artillerie.
Th.e*dtre de la guerre à t'Est.
Au sud du lac de Narocx une attaque russe de la
force d'environ un bataillon, se termina, avec de
grandes perles pour l'ennemi, devant nos obstacles.
En deliois de quelques nouveaux combats d'ar-
tillerie à certains endroits et de quelques rencontres de
patrouilles, aucun événement essentiel.
Théâlre de la guerre aux Balkans.
Rien de nouveau.
Grand Quartier général, le 24 mviil 1916.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
L'activité de l'artillerie fut presque partout sl •
front plus vive que ces jours derniers.
Sur plusieurs points, des patrouilles allemandes
opérèrent avec succès. Au sud de St-Eloi des détache-
ments anglais furent rejetés par nos tirs.
Djms la région de la Meuse, de petites attaques fran-
çaises à la grenade contre nos positions dans les boie
au nord-est d'Avocourt furent repoussées. De faibles
poussées de l'adversaire, a l'Est du u Mort-Homme a,
échouèrent également dans la nuit Une attaque plus
fortejs'cffondra complètement devant nos lignes, dans
la région de Thiaumont.
Up biplan anglais fut mis hors de combat, au cours
d'une} lutte aérienne à l'Est d'Arras , les officiers qui
l'occupaient sont prisonniers.
Théâtre de la guerre à t'Est et théâtre de la guerre
aux /î(i//;onï.
Pas d'événements essentiels
BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS
1 l'aria, 18 avril 1910, sou.
En Aigonne, activité dû notre aitillene dans la région du
Four de Paris et sur les routes et voies de communications
de l'ennemi. •
Dans la région de Verdun, le mauvais temps à ffiné les
opérations au cours de la joui née.
Bombardement intermittent 6 l'ouest de la Meuse, dans
le seateur de la cote 30i, u l'est dans lu région sud du bois
d'Haudromont et sur nos positions entre Douaumont et
Vaux; Aucune action d'mhititeiie.
A (l'est de Satnt-Mihiel, nos baUcncB ont canouné des
russoinbleiiieiits ennemis pria de Wuin ville.
Paris, 10 avril 1.916, 3 heures
Aucun événement important a signaler, au couis de la
nuit, sur l'ensemble du front, en deliois d'un bombardement
assez violent h l'est de la Meuse dans la région sud du bois
d'Haudromont. _ _ ■ f 0
Hier, 18 avril, les troupes russes de l'aimée du Caucase,
appuyées par le canon de la flotte et par un corps de débar-
quement, se sont emparées uprès un combat acharne de
l'importante place forte de Ti ebisonde.
Pan», 19 avril 1910, soir.
A 1 ouest de la Meuse, m. tivito considérable de l'arlilleiie
sur la cote ôOi et sur nos-premières lignes entre le Mort-
Homme et Cumières.
A d'est de la Meuse, bombai dément violent dans ia région
Douaurnont-Ynux.
Alix Eparges, l'ennemi a lancé, ce matin, trois attaques
auccMsivcs sur (nos positions. Toutes' sc3 attaques ont été
rtjloJsEéBS. Au cours de la dernière, l'ennemi, qui avait
réussi a prendre pied un instant dans nos trandiées, sur
un front de 200 mètres environ, eu a clé- lejeté uu- 1 oi par
notre contre-attaque, qui lui u fuit sul.11 des pciles loi euses.
Aucun événement important a, signaler sur le reste du
front.
Parii, 20 avril 1916, 3 heures.
En Argonne, ù la Haute-Chevauchée, lutte de ihines &
notro avantage. Nous avons (ait jouer un camouflet qui u
détruit les travaux souterrains de l'ennemi.
Sur la rive gauche de la Meuse, bombardcmeit continu
de notre deuxième ligne au cours de la nuit.
-Sur la rive droite, hier en On de journée, nos tioapes ont
mené contre les positions allemandes au nord-ouest de
l'étang de Vaux une vive attaque qui nous a permis
d'occuper des éléments de tranchées et d'enlever une icdoute
lortiliée.
Ali cours du cette action, qui a coûté des peites sérieuses
à l'ennemi, nous avons fuit prisonniers 10 officiers, lti suus-
omeiers et 21 i soldats.
Nous avons pris, en outre, plusieurs mitrailleuses et une
cci laine quantité de matériel.
En Woevre, tir de concentration de notre artillerie sur
les voies do communications de l'adversaire.
Aucun événement important a signaler sur le re^te du
fronti
LÉGENDES OFFICIELLES
A lire attentivement les informations semi-officielles de
la presse française, on gagne la conviction que le seul souci
de ceux qui loi rédigent n'est point de dire les choses comme
elle* sont, mais d'extraire de toute situation Ici éléments
pouvant servir à calmer l'anxiété el à fortifier le moral du
public. De là à donner aux faits une signification toute diU
férente, voiro contraire à la réalité, il n'y a qu'un pas. Il
suffit, pour le franchir, d'avoir l'imagination active el l'ha-
bileté de plume des journalistes parisiens. Cette imagination,
celte habileté aidant, nous voyons se former, dans les ré-
duits surs des rédactions et des agences officieuses, où tint
de 11 grands patriotes » et de « fils a papa » abritent leur hé-
roïsme et emploient leur chauvine ardeur à pousser aux car-
nages leurs compatriotes soldats luttant et mourant dans Ici
tranchées, toutes sortes de légende» qui peu a peu s'accré-
ditent et deviennent le pain quotidien du lecteur français.
Longtemps ce fut la légende de 1' « Allemagne affamée ».
a. laquelle s'ajoula. dèa les premiers mois de la guerre déjà,
celle de 1' armée allemande manquant d'jjomnici et réduite à
enrôler enfui 1 et vieillards I
La prcmièrc'scmblail morte pendaul un certain temps.
Puis on ln ressuscita, faute de mieux. La seconde, celle dt
l'année allemande épuisée, réapparaît soua la forme nou-
velle des prétendues <i hécatombes allemandes n autour de
Verdun.
II ne se pusse pas un jour sans que cette illusion soit soi-
gneusement entretenue par les écrivains officiels. Elle sert
de contre-poids aux indéniables succès allemands, qui te
traduisent en gains de terrains contrôlables sur ta carte
Ce système de légendes' officielles poursuit aussi le but
d'influencer les Neutres, ceux-là surtout qu'on espère sans
doute encore pouvoir gagner à la cause alliée, à l'exemple
de l'Italie cl du Portugal, bien que la situation soit peu en-
gageante.
Parmi les uiticles illustrant cette méthode officielle fran-,
çaiae, U n'en est guèic de plus typique que celui que le jour-
naliste gouvernemental Gustave Hervé publiait en téU de la
« Victoire n du 14 avril. Cet article est évidemment une ré-
ponse inspirée ù l'adresse des sceptiques qui ne sont pas
enchantés de la progression systématique de l'arme.' aile»
m. :nlu dans la contrée de \rrdun. Hervé écrit :
« Autour dejuoi, chaque fois que les communiqué* alle-
mands annoncent une avance allemande, je vois les mines
qui s'assombrissent et les nez qui l'allongent.
■( Ils sont fort» I » fait i'un.
« Avant-hier, ils nous ont pris Malancourl l n lait l 'autre ] .
« hier nous avons évacué Béthincourt. Demain, ils uoui
prendont le Morl-liomn ( . (N y a longtemps que les Fron-
çais ne sont plus maîtres du Mort-Homme! La Réd.j
ii Vous ne voyex doue put, avec votre optimisme Wal,
qu'ils nous grignotent, el qu'ils finiront par noua prendra
Verdun! Vous entendrez alors leurs cris de joie, saurs fan-
fares de triomphe 1 u
» Ceux qu'alarme ce recul de notre Iront n'ont pus l'air
de se douter que si nous reculons pas à pas depuis 5o jours,
ce n'est paî parce que les Allemands sont plus nombreux
que nous, ou mieux armés eu artillerie, ou mieux appro-
visionnés en obus, c'est uniquement parce que notre état-
major — cela upparu.U avec la dernière évidence, entre les
lignes des communiqués — ne veut pus encore décJancher
de contre-offensive générale II se borne à de petites lit) t re-
offensives locales quand l'ennemi a pris quelque poin! gê-
nant..... Il est archiprnbublc que s il plaisai' ù notre
généralissime en ce moment de d elniicher une giossa
contre-offensive générale au nord de Verdun, l'ennemi
perdrait en quelques jours le terrain qu'il a gagné vu près
de deux mois. ([) ....
« Oui, oui, ils nous grignotent.
a Ils nous grignotent du terrain.
«Mais nous, nous leur grignotons des hommes, »
C'est facile û dire I Hervé et consorts ne risquent pas que
leurs lecteurs aillent voir I II est toujours aisé d'infliger
à l'ennemi des pertes formidables — sur le papier !
Un critique militaire suisse constata dernièrement que
seul l'adversaire qui avance peut se faire une idée tant soit
FEUILLETON DE LA tCAZBTTB Dto ARDENNES*
LA GUERRE FATALE
Par le Capitaine DANR1T —
Pendant ce séjour en Angleterre, du i5 juillet à la fin
daoùt, kéjoui qu'il considérait comme le dernier qu'il dût
faire dans ce paya maudit, û s'était informé de l'adicssc de
ta pilç de l'amiral Carthy. Cette jeune fille avait été, suns
U33 doulei, mCléc de trop prés à sa vie pour qu il ne s ef-
forcal pas de ln connaître , d'ailleurs, les journaux a'occu-
ni d'elle chaque fois que le nom de son fiancé
|Jk tubmariiu brms-nroom, comme on l'appelait — faisait
|iarj. 1 de lui.
Walter Smith, dans la lellre fabriquée, qui raeoutait
\'t [pulsion de Londres de M™ Sandérson cl de Maud Car-
iliv, n avait pas tout invente 11 était exact que lu populace
ï&ait ameutée dans les derniers jours d'avril devant l'hôtel
du Commodore et avait menacé d'en enfoncer les porh'e. Cet
h 'i. l do vieux style, acquis depuis peu par le père de Maud,
eTaS silué dans Pioedifty, pr*i de Buckingham-Palace, à
tourte distance di Ilyde-Pork, en plein cuem de Londres. Le
<]k-I de la pQlic< s'êtail Ému de celle agression qui risquait
de se renouveler chaque fois que la nouvelle d'un désastre
■11. \ soi - 1 irina français serait affichée dans la Cité, et
il avait n ilifii à M** Sanderson et à su nièce d'avoir a cher-
y lui bon de la > spitale un asile où elles fussent au«si incon-
nues que possible.
Cette condition imposée aux deux femmes avait rendu
f .it difficiles Les recherches de Louis DhOrr, mais le hasard
lavait servi en lui faisant rencontrer un jour h la slation
de ëharmg-Crosa une femme sèche, jaune et maigre comme
uh \a ir sans [iain, el dont lu silhouette en fourreau de para-
pluie ne lui était pas inconnue. Kn rassemblant ses souve-
itrrs, il se rappela l'avoir vue au Grand-Hotal de Tunis,
derrière Maud Cailhv, pendant lea quelques heures passées
I l'observer, en attendant un train d'Algérie, cl il s'attacha
■ttflSfSnl à ses pas
Il avait été bien inspiré, car après de nombreuses stations
dans les magasins de llegent-Street, à la Porte de Ludgater
Circus et dans des cabines téléphoniques, misB Fithiau —
la vieille caieue, comme l'appelait (iludic — avait repris à
lu gare de Waterloo le train de Sydenham et était descendue
à lu sUtion de Penge.
Louis Dhùrr avait accompagné la vieille anglaise jusqu'à
une grille sur laquelle il avait lu ; Hope's Villa.
Il s'était adressé u un door-keeper (.Concierge) à miue
rébarbative, qui l'avait fort mal reçu en le traitant dédai-
gneusement de reporter, ce qui prouvait que déjà la ville
avail reçu la visite de maints journalistes indiscrets, mais,
ce qui lui avail appris au^si que M1"1 de Suuderson et sa
nièce habituient bien ce toilage.
A tout hasard, Louis Dhurr s'était muni d'une jumelle
l^liutographique, et lorsqu'il l'avait braquée sur le belvédère,
le hasard y avait amené, à ce moment précis, une forme
svelle et gracieuse vêtue de noir.
' 11 avail deviné plutôt que reconnu Maud Oarlhy.
* Celait bien elle, en tflet, et le renseignement d'un cous-
tuble préposé à la surveillance de la ville depuis lea mani-
leslulioin hostiles de ftocadilty, avait changé le soir même
sou hypothèse on certitude.
Il avait donc écrit au-dessous de la photographie obtenue
le lendemain, et sur laquelle se distinguait tièa nettement
la silhouetta entrevue :
Hope's. Villa.
Mis Sandasun et .Miss M
Sydcn/nim-f/i//.
:a,i/.y,
12 auât i'J.
Puis ij l'avait serrée avec soin dans son puitefeuille-
Pcadanl les quelques jours qui lui étaient restés avant
sou départ pour Bruxelles, il uvuit passe son temps à cir-,
cuicr dans le pays qui s'étend de Londrea ù lu Manche : il
ai ait pareoui u successivement les Coutil-Uovv us, collines
puissamment fortifiées qui s'étendent le long dep côtes entre
Worthing et Iicachy-Head ; il avait exuminé les défenses
de Brighlon, ville que tout semblait indiquer comme ie
point de débaïqueinenl de l'invasion irauv»ise ; il avait
visité les camps do Levves, de Cluchésler, de Reigate, où
se complétaient les corps d'armée récemment-formés, et
surtout le camp permanent d'Aldershot, où lord Roberli,
commandant en chef des forces britanniques, avait installé
son Quartier Général. <
Mais suiluut, il avait étudié la régiou des Nortii-Dovvns,
oetle. deuxième barrière de collines qui s'étend entre Londres
et la mer, et en parliculiei les Hockhurst Dovvns qui domi-
nent la ville de Dorkiuy.
Ce puml de Doiking, signalé vingt-cinq ou liente ans
auparavant par un écrivain anglais, comme celui où se
consommait par une bataille h^pclbédique la ruine de la
Grande-Brclugne, il avait voulu so persuader qu'il jouerait
en effet un rôle dans la grande lutte qui se piepuiait et il
l'avait examiné de très [nés ; puis, en arriére de celte ligue
marquée par les points de Guddfort, Doiking et L'îj/.ite,
il avait étudie la hauteur de Cristal-Palace, ia derirlùré des
positions défendables en avant de Londres.
Quand il n'était embarqué ù ÏBxrnouth pour Hambourg,
faisant ainsi le grand tour pour aboutit à Itru\elles, il
possédait donc sur l'occupation de toute cette région de
précieux documents qu'il espérait bien celte foîa utiliser eu
luveui de sa vraie.patrie.
Qn était au iG août, Le parti de L*Uil Dhuii était pris ;
depuis qu'il avait franchi la frontière, il avait senti battre
partout sur le territoire la lièvre des prOQhaiiles batailles;
celte rédemption ù laquelle il tendait, celait !a bataille seule
qui la lui1 donnerait.
Jadis, dans ses rêves de jc-uuesse, il avait souhaité faire
campagne comme officier, comme capitaine surtout, car 11
n'y a pas de plus beau grade duns l'armée que celui de
chef do compagnie , le capitaine est le seul, eu effet, qui
puisse excrcei un commandement effectif, tout en Conseil
\anl h; contact immédiat avec ses soldats.
Ce lève était loin : la fatalité l'avait élouffé sous sa
pesante éteinte ; mais puisque Louis Dhurr n'avait pu le
réaliser comme officier, il le léaliserait comme soldat.
Comme soldat I mais où P
Un seul coips puuvait l'accueillir, sans qu'aucune diffi-
culté de nom ou de passé fût soulevée.
C'était la Légion étrangère.
Là entraient des enfanta de sei^e ans qui s'en donnaient
vingt, des hommes faits de quarante ans qui an accusaient
trente, des Allemands qui se disaient Lorrains, des nobles
qui cachaient leur nom, des désespérés qui s'essuyaient à
revivre, des déclassés, des forbans, des nihilistes, des
hommes qui faisaient peu de cas de la vie et ne cherchaient
qu'une occasion de donner la leur.
Mais ce corps était en Afrique où aux colonies. Or c'était
là, sur les bords de la Manche, qu'allait avoir lieu lu batailla.
Où aller ? A quel régiment se présenter au dehors de
celui-lù ?
• Sans doule, ou acceptait dans les corps d'armée mobilisés
de l'Armée d'Angleterre des engagements pour la durée de
lu guerre, mais bien que les formalités en fussent très sim-
plifiées, encore faltait-il justifier de sa ijuulité de Français.'
Celte qualité essentielle, comment lu prouverait-il P Quel
acle de nai-snnee pouvait il produire sans révéler son véri-
table nom ?
Quel nom nouveau allait-il prendre en rentrant définiti-
vement dans sa patrie, en cherchant ù revêtir l'uniforme1
Son ancien nom d'officier-? Jamais ! Son nom d'espion }
Encore moins I
Longtemps, pendant que le vapeur l'emportait ù Uavera
les plates solitudes du Nord, cette idée martela son niveau.
Quand il descendit ù Pans, il était line sur le nom qu'il
adopterait: Paul Evuin, un nom qui lui rappellerai! Éva ;
tuais il n'avait rien trouvé pour suppléer aux pièces d'état
civil qui lui manquaient.
Fabrique! un faux, il ^ avait songé tout d'abord . mec ta
four de main qu'il avait acquis pendant ces dernières années,
celle opération n'eût pas été difficile , mais l'idée, aussitôt
repoussée qu écluse, le révolta Commencer par un funv cette
vie nouvelle qu'il entrevoyait toute de sacrifice, cl d'expia-
tion ; non, cela, jamais I
Et toul à coup, à côté du nom d'Êva qui revenait sans
cesse, obsédant, celui de d'Argonne se présenta ù son esprit.
Il avait songé ù porter à l'officier de marine le dossier des
«ubmurme-bciu/î qu'il avait enlevé au chef du BrUisli-lnfor-
nxation-Offiot. Il voulait l'aviser du danger que faisait courir
à nos sous marins aussi bien qu'à nos dépôts d'explosifs,
celte usine mystérieuse qui s'élevait au Havre sur la cota
d'Ingouville : car à qui révéler tous ces secrets dangereux
pour la défense nationale ? dans quel ministère eût-il été
reçu et écouté, sans risquer do trahir son identité f
Et puisqu'il était décidé à parler à Henri d'Argonne,
pourquoi ne lui demanderait-il pas de lui faciliter cet enga-
gement dans un des corps mobilisés ?
(A suivre.)
m
N* ISO.
PRIX
Charlevillc, le 26 Avril 1916.
azette
Ardeimes
JOURNAL DBS PAYS OCCUPÉS PARAISSANT QUATRE FOIS PAR SEMAINE
Ou s'alxmue dans tons les bureaux de poste
LA GUERRE DE FAMINE
Au fui' et a mesura que les succès militaires de
l'Allemagne et de ses Alliés sont venus détruire, une à
une, les illusions qu'on s'était faites à Londres et
à Paris au sujet de la « victoire certaine », on a pu
voir apparaître et grandir l'espoir fondé sur l'épuise-
ment économique du peuple allemand.
Cet espoir est apparu dans les plus diverses varia-
tions, avec force chiffres à l'appui, sous forme de pro-
phéties ridiculement précises, que les faits ont cruelle-
ment démenties depuis longtemps.
Néanmoins, depuis la conférence de Paris, nous
assistons à une reprise de cet ancien « plan de guerre »,
■t nous le voyons prendre des formes particulièrement
brutale* à l'égard des petits pays neutres et indépen-
dants, suspects de commercer avec l'Allemagne.
Et pendant que l'Angleterre entrave par les moyens
les plus honteux le commerce maritime de la Hollande
et des pays Scandinaves, confisquant les cargaisons et
violant le courrier d'outre-mer, la "France officielle se
charge de crier par le monde, au moyen de sa presse
et de ses agences de propagande tendancieuse, que
l'Allemagne est acculée à la faillite et qu'on y meurt
de faim,- que Berlin, Cologne, Munich, etc., sont en
révolte et que femmes et enfants y ont été mili ail-
lé* par lea <i barbares militaristes », pour avoir doinan-
dé du pain ! ' ■•
Pendant ce temps, l'armée allemande subirait,
d'après oes mêmes journalistes, hécatombe sur héca-
tombe. On raconte aux Parisiens qu'au mépris des
principes les plus élémentaires de la'guerre moderne,
cette armée persisterait à se jeter en masses épaisses
dans le feu des mitrailleuses françaises, sans doute
pour échapper à la mort par la faim dont le spectre
la pousse par derrière 1 — Et il semble qu'il y a tou-
jours encore un public français pour croire ce roman-
feuilleton dramatisé en u film » sensationnel I
Sur le terrain militaire, chacun des Alliés attend
la « victoire n de l'autre ; mais ils croient tous ensem-
ble"» 1' v alliée famine » I En hiver igi4 on disait
aux poilus dans les tranchées :' « Attendez Je prin-
temps] L'Allemagne sera réduite par la faim. >. De
savants économistes fixèrent même des dates pour la
réalisation jfajXM belles illusions '. Mais l'année, ioi_5
s'est ccoulûe, apportant, avec la récolte, de nouvelles
victoires des années allemande;. En hiver igi5. lû petit
j-'U recommença. On répéta- aux braves poilus que
cette fois c'était k sûr », que les » Boches » ne paie-
raient pas le "printemps 1916 I Or, l'Allemagne est dans
une position bien meilleure cette année. Au terrain
de culture dont elle dispose normalement sont venus
s'ajouter les vastes territoires conquis, occupés et cul-
tivés par ses soldats. Partout germe Ta récolte future,
qui dans quelques mois aura mûri I Des terrains,
restés en friches l'an passé, portent aujourd'hui le pain
allemand de demain ! El les gras pâturages nourrissent
les troupeaux soignés, qui assureront le lait aux en-
fants et la viande aux hommes et permettront même
de diminuer sous peu le prix du beurre, — suprême
leurre des journaux boulevardiers !
Au moment où la famine tant espérée berçait en-
core les rêves des journalistes parisiens, un coup déci-
sif est venu les réveiller en sursaut 1 La Roumanie, pays
essentiellement agiicolc, a conclu avec l'Allemagne
l'accord commercial que la «Gazette» a déjà signalé et
qui, en compensation des importations industrielles qui
faisaient défaut à 1a Roumanie, assure définitivement,
bien au delà.du nécessaire, le ravitaillement de l'Alle-
magne. ,
Ici la brutalité anglaise reste sans prise. La Rou-
manie n'a pas les côtes étendues de la Grèce. Ses villes
ne sont pas exposées à la menace des canons britanni-
ques I Elle a donc pu traiter en nation libre, consciente
de ses droits, comme de ses intérêts.
La presse française s'est fort bien rendu compte de
la portée pratique de cet accord. Il suffit de lire cette
conclusion de M. Herbettc, dans l'.< iSçki de Paris >• du
i5 avril :
•( Contentons-nous, pour conclure sans trop aban-
donner le terrain des précisions, de citer les trois nom-
bres que voici. D'après l'inslitut international d'agrkul~
ture de Rome, on peut estimer, en temps de paix, à six
millions de tonnes la quantité annuelle de céréales que
l'Allemagne et VAutriche-Hongrie réunies sont forcées
de se procurer au dehors. Or la Roumanie aurait pro-
duit environ cinq millions de tonnes en ioid et en
iç.i5 six millions. »
Grâce à son incomparable organisation, l'approvi-
sionnement du peuple allemand était assuré avant la
conclusion de l'accord.roumano-allcmand ; aujour-
d'hui les semeurs d'illusion de Paris et de Londres ne
sauraient' eux-mêmes en douter plus longtemps, Leur
u guerre de famine n n'a pas été plus heureuse que
l'autre. Pour alimenter leur propagande trompeuse, il .
\ a falloir qu'ils inventent autre chose I
BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS
Giand Quartier général, le S3 avril 1916
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Nos tranchées nouvellement conquises, à la roule
de Langemarck à Ypres, ont dû être évacuées, l'inon-
dation empêchant toute installation. Vers le matin,
une attaque anglaise à la grenade fut repoussée, au sud
de St-E!oi.
Des patrouilles -anglaises qui, après une forte pré-
paration d'artillerie, s'étaient avancées dans la" nuit
contre nos positions, situées des deux côtés de la route
de Bapaume à Albert, furent rejetéea.
Près de Tracy-le-Val une attaque ennemie au gai
échoua ; le nuage de gaz reflua dans les positions
françaises.
A gauche de la ?Al' ie, au sud-est de Haucourt et à
l'ouest de la haute « Mort-Homme », des tranchées
ennemies furent pîT!«uj. A droite du fleuve, dans la
plaine de Wocvre et sur les hauteurs près de Combles,
l'activité de combat se borna à de violents et continuels
duels d'artillerie.
Th.e*dtre de la guerre à t'Est.
Au sud du lac de Narocx une attaque russe de la
force d'environ un bataillon, se termina, avec de
grandes perles pour l'ennemi, devant nos obstacles.
En deliois de quelques nouveaux combats d'ar-
tillerie à certains endroits et de quelques rencontres de
patrouilles, aucun événement essentiel.
Théâlre de la guerre aux Balkans.
Rien de nouveau.
Grand Quartier général, le 24 mviil 1916.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
L'activité de l'artillerie fut presque partout sl •
front plus vive que ces jours derniers.
Sur plusieurs points, des patrouilles allemandes
opérèrent avec succès. Au sud de St-Eloi des détache-
ments anglais furent rejetés par nos tirs.
Djms la région de la Meuse, de petites attaques fran-
çaises à la grenade contre nos positions dans les boie
au nord-est d'Avocourt furent repoussées. De faibles
poussées de l'adversaire, a l'Est du u Mort-Homme a,
échouèrent également dans la nuit Une attaque plus
fortejs'cffondra complètement devant nos lignes, dans
la région de Thiaumont.
Up biplan anglais fut mis hors de combat, au cours
d'une} lutte aérienne à l'Est d'Arras , les officiers qui
l'occupaient sont prisonniers.
Théâtre de la guerre à t'Est et théâtre de la guerre
aux /î(i//;onï.
Pas d'événements essentiels
BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS
1 l'aria, 18 avril 1910, sou.
En Aigonne, activité dû notre aitillene dans la région du
Four de Paris et sur les routes et voies de communications
de l'ennemi. •
Dans la région de Verdun, le mauvais temps à ffiné les
opérations au cours de la joui née.
Bombardement intermittent 6 l'ouest de la Meuse, dans
le seateur de la cote 30i, u l'est dans lu région sud du bois
d'Haudromont et sur nos positions entre Douaumont et
Vaux; Aucune action d'mhititeiie.
A (l'est de Satnt-Mihiel, nos baUcncB ont canouné des
russoinbleiiieiits ennemis pria de Wuin ville.
Paris, 10 avril 1.916, 3 heures
Aucun événement important a signaler, au couis de la
nuit, sur l'ensemble du front, en deliois d'un bombardement
assez violent h l'est de la Meuse dans la région sud du bois
d'Haudromont. _ _ ■ f 0
Hier, 18 avril, les troupes russes de l'aimée du Caucase,
appuyées par le canon de la flotte et par un corps de débar-
quement, se sont emparées uprès un combat acharne de
l'importante place forte de Ti ebisonde.
Pan», 19 avril 1910, soir.
A 1 ouest de la Meuse, m. tivito considérable de l'arlilleiie
sur la cote ôOi et sur nos-premières lignes entre le Mort-
Homme et Cumières.
A d'est de la Meuse, bombai dément violent dans ia région
Douaurnont-Ynux.
Alix Eparges, l'ennemi a lancé, ce matin, trois attaques
auccMsivcs sur (nos positions. Toutes' sc3 attaques ont été
rtjloJsEéBS. Au cours de la dernière, l'ennemi, qui avait
réussi a prendre pied un instant dans nos trandiées, sur
un front de 200 mètres environ, eu a clé- lejeté uu- 1 oi par
notre contre-attaque, qui lui u fuit sul.11 des pciles loi euses.
Aucun événement important a, signaler sur le reste du
front.
Parii, 20 avril 1916, 3 heures.
En Argonne, ù la Haute-Chevauchée, lutte de ihines &
notro avantage. Nous avons (ait jouer un camouflet qui u
détruit les travaux souterrains de l'ennemi.
Sur la rive gauche de la Meuse, bombardcmeit continu
de notre deuxième ligne au cours de la nuit.
-Sur la rive droite, hier en On de journée, nos tioapes ont
mené contre les positions allemandes au nord-ouest de
l'étang de Vaux une vive attaque qui nous a permis
d'occuper des éléments de tranchées et d'enlever une icdoute
lortiliée.
Ali cours du cette action, qui a coûté des peites sérieuses
à l'ennemi, nous avons fuit prisonniers 10 officiers, lti suus-
omeiers et 21 i soldats.
Nous avons pris, en outre, plusieurs mitrailleuses et une
cci laine quantité de matériel.
En Woevre, tir de concentration de notre artillerie sur
les voies do communications de l'adversaire.
Aucun événement important a signaler sur le re^te du
fronti
LÉGENDES OFFICIELLES
A lire attentivement les informations semi-officielles de
la presse française, on gagne la conviction que le seul souci
de ceux qui loi rédigent n'est point de dire les choses comme
elle* sont, mais d'extraire de toute situation Ici éléments
pouvant servir à calmer l'anxiété el à fortifier le moral du
public. De là à donner aux faits une signification toute diU
férente, voiro contraire à la réalité, il n'y a qu'un pas. Il
suffit, pour le franchir, d'avoir l'imagination active el l'ha-
bileté de plume des journalistes parisiens. Cette imagination,
celte habileté aidant, nous voyons se former, dans les ré-
duits surs des rédactions et des agences officieuses, où tint
de 11 grands patriotes » et de « fils a papa » abritent leur hé-
roïsme et emploient leur chauvine ardeur à pousser aux car-
nages leurs compatriotes soldats luttant et mourant dans Ici
tranchées, toutes sortes de légende» qui peu a peu s'accré-
ditent et deviennent le pain quotidien du lecteur français.
Longtemps ce fut la légende de 1' « Allemagne affamée ».
a. laquelle s'ajoula. dèa les premiers mois de la guerre déjà,
celle de 1' armée allemande manquant d'jjomnici et réduite à
enrôler enfui 1 et vieillards I
La prcmièrc'scmblail morte pendaul un certain temps.
Puis on ln ressuscita, faute de mieux. La seconde, celle dt
l'année allemande épuisée, réapparaît soua la forme nou-
velle des prétendues <i hécatombes allemandes n autour de
Verdun.
II ne se pusse pas un jour sans que cette illusion soit soi-
gneusement entretenue par les écrivains officiels. Elle sert
de contre-poids aux indéniables succès allemands, qui te
traduisent en gains de terrains contrôlables sur ta carte
Ce système de légendes' officielles poursuit aussi le but
d'influencer les Neutres, ceux-là surtout qu'on espère sans
doute encore pouvoir gagner à la cause alliée, à l'exemple
de l'Italie cl du Portugal, bien que la situation soit peu en-
gageante.
Parmi les uiticles illustrant cette méthode officielle fran-,
çaiae, U n'en est guèic de plus typique que celui que le jour-
naliste gouvernemental Gustave Hervé publiait en téU de la
« Victoire n du 14 avril. Cet article est évidemment une ré-
ponse inspirée ù l'adresse des sceptiques qui ne sont pas
enchantés de la progression systématique de l'arme.' aile»
m. :nlu dans la contrée de \rrdun. Hervé écrit :
« Autour dejuoi, chaque fois que les communiqué* alle-
mands annoncent une avance allemande, je vois les mines
qui s'assombrissent et les nez qui l'allongent.
■( Ils sont fort» I » fait i'un.
« Avant-hier, ils nous ont pris Malancourl l n lait l 'autre ] .
« hier nous avons évacué Béthincourt. Demain, ils uoui
prendont le Morl-liomn ( . (N y a longtemps que les Fron-
çais ne sont plus maîtres du Mort-Homme! La Réd.j
ii Vous ne voyex doue put, avec votre optimisme Wal,
qu'ils nous grignotent, el qu'ils finiront par noua prendra
Verdun! Vous entendrez alors leurs cris de joie, saurs fan-
fares de triomphe 1 u
» Ceux qu'alarme ce recul de notre Iront n'ont pus l'air
de se douter que si nous reculons pas à pas depuis 5o jours,
ce n'est paî parce que les Allemands sont plus nombreux
que nous, ou mieux armés eu artillerie, ou mieux appro-
visionnés en obus, c'est uniquement parce que notre état-
major — cela upparu.U avec la dernière évidence, entre les
lignes des communiqués — ne veut pus encore décJancher
de contre-offensive générale II se borne à de petites lit) t re-
offensives locales quand l'ennemi a pris quelque poin! gê-
nant..... Il est archiprnbublc que s il plaisai' ù notre
généralissime en ce moment de d elniicher une giossa
contre-offensive générale au nord de Verdun, l'ennemi
perdrait en quelques jours le terrain qu'il a gagné vu près
de deux mois. ([) ....
« Oui, oui, ils nous grignotent.
a Ils nous grignotent du terrain.
«Mais nous, nous leur grignotons des hommes, »
C'est facile û dire I Hervé et consorts ne risquent pas que
leurs lecteurs aillent voir I II est toujours aisé d'infliger
à l'ennemi des pertes formidables — sur le papier !
Un critique militaire suisse constata dernièrement que
seul l'adversaire qui avance peut se faire une idée tant soit
FEUILLETON DE LA tCAZBTTB Dto ARDENNES*
LA GUERRE FATALE
Par le Capitaine DANR1T —
Pendant ce séjour en Angleterre, du i5 juillet à la fin
daoùt, kéjoui qu'il considérait comme le dernier qu'il dût
faire dans ce paya maudit, û s'était informé de l'adicssc de
ta pilç de l'amiral Carthy. Cette jeune fille avait été, suns
U33 doulei, mCléc de trop prés à sa vie pour qu il ne s ef-
forcal pas de ln connaître , d'ailleurs, les journaux a'occu-
ni d'elle chaque fois que le nom de son fiancé
|Jk tubmariiu brms-nroom, comme on l'appelait — faisait
|iarj. 1 de lui.
Walter Smith, dans la lellre fabriquée, qui raeoutait
\'t [pulsion de Londres de M™ Sandérson cl de Maud Car-
iliv, n avait pas tout invente 11 était exact que lu populace
ï&ait ameutée dans les derniers jours d'avril devant l'hôtel
du Commodore et avait menacé d'en enfoncer les porh'e. Cet
h 'i. l do vieux style, acquis depuis peu par le père de Maud,
eTaS silué dans Pioedifty, pr*i de Buckingham-Palace, à
tourte distance di Ilyde-Pork, en plein cuem de Londres. Le
<]k-I de la pQlic< s'êtail Ému de celle agression qui risquait
de se renouveler chaque fois que la nouvelle d'un désastre
■11. \ soi - 1 irina français serait affichée dans la Cité, et
il avait n ilifii à M** Sanderson et à su nièce d'avoir a cher-
y lui bon de la > spitale un asile où elles fussent au«si incon-
nues que possible.
Cette condition imposée aux deux femmes avait rendu
f .it difficiles Les recherches de Louis DhOrr, mais le hasard
lavait servi en lui faisant rencontrer un jour h la slation
de ëharmg-Crosa une femme sèche, jaune et maigre comme
uh \a ir sans [iain, el dont lu silhouette en fourreau de para-
pluie ne lui était pas inconnue. Kn rassemblant ses souve-
itrrs, il se rappela l'avoir vue au Grand-Hotal de Tunis,
derrière Maud Cailhv, pendant lea quelques heures passées
I l'observer, en attendant un train d'Algérie, cl il s'attacha
■ttflSfSnl à ses pas
Il avait été bien inspiré, car après de nombreuses stations
dans les magasins de llegent-Street, à la Porte de Ludgater
Circus et dans des cabines téléphoniques, misB Fithiau —
la vieille caieue, comme l'appelait (iludic — avait repris à
lu gare de Waterloo le train de Sydenham et était descendue
à lu sUtion de Penge.
Louis Dhùrr avait accompagné la vieille anglaise jusqu'à
une grille sur laquelle il avait lu ; Hope's Villa.
Il s'était adressé u un door-keeper (.Concierge) à miue
rébarbative, qui l'avait fort mal reçu en le traitant dédai-
gneusement de reporter, ce qui prouvait que déjà la ville
avail reçu la visite de maints journalistes indiscrets, mais,
ce qui lui avail appris au^si que M1"1 de Suuderson et sa
nièce habituient bien ce toilage.
A tout hasard, Louis Dhurr s'était muni d'une jumelle
l^liutographique, et lorsqu'il l'avait braquée sur le belvédère,
le hasard y avait amené, à ce moment précis, une forme
svelle et gracieuse vêtue de noir.
' 11 avail deviné plutôt que reconnu Maud Oarlhy.
* Celait bien elle, en tflet, et le renseignement d'un cous-
tuble préposé à la surveillance de la ville depuis lea mani-
leslulioin hostiles de ftocadilty, avait changé le soir même
sou hypothèse on certitude.
Il avait donc écrit au-dessous de la photographie obtenue
le lendemain, et sur laquelle se distinguait tièa nettement
la silhouetta entrevue :
Hope's. Villa.
Mis Sandasun et .Miss M
Sydcn/nim-f/i//.
:a,i/.y,
12 auât i'J.
Puis ij l'avait serrée avec soin dans son puitefeuille-
Pcadanl les quelques jours qui lui étaient restés avant
sou départ pour Bruxelles, il uvuit passe son temps à cir-,
cuicr dans le pays qui s'étend de Londrea ù lu Manche : il
ai ait pareoui u successivement les Coutil-Uovv us, collines
puissamment fortifiées qui s'étendent le long dep côtes entre
Worthing et Iicachy-Head ; il avait exuminé les défenses
de Brighlon, ville que tout semblait indiquer comme ie
point de débaïqueinenl de l'invasion irauv»ise ; il avait
visité les camps do Levves, de Cluchésler, de Reigate, où
se complétaient les corps d'armée récemment-formés, et
surtout le camp permanent d'Aldershot, où lord Roberli,
commandant en chef des forces britanniques, avait installé
son Quartier Général. <
Mais suiluut, il avait étudié la régiou des Nortii-Dovvns,
oetle. deuxième barrière de collines qui s'étend entre Londres
et la mer, et en parliculiei les Hockhurst Dovvns qui domi-
nent la ville de Dorkiuy.
Ce puml de Doiking, signalé vingt-cinq ou liente ans
auparavant par un écrivain anglais, comme celui où se
consommait par une bataille h^pclbédique la ruine de la
Grande-Brclugne, il avait voulu so persuader qu'il jouerait
en effet un rôle dans la grande lutte qui se piepuiait et il
l'avait examiné de très [nés ; puis, en arriére de celte ligue
marquée par les points de Guddfort, Doiking et L'îj/.ite,
il avait étudie la hauteur de Cristal-Palace, ia derirlùré des
positions défendables en avant de Londres.
Quand il n'était embarqué ù ÏBxrnouth pour Hambourg,
faisant ainsi le grand tour pour aboutit à Itru\elles, il
possédait donc sur l'occupation de toute cette région de
précieux documents qu'il espérait bien celte foîa utiliser eu
luveui de sa vraie.patrie.
Qn était au iG août, Le parti de L*Uil Dhuii était pris ;
depuis qu'il avait franchi la frontière, il avait senti battre
partout sur le territoire la lièvre des prOQhaiiles batailles;
celte rédemption ù laquelle il tendait, celait !a bataille seule
qui la lui1 donnerait.
Jadis, dans ses rêves de jc-uuesse, il avait souhaité faire
campagne comme officier, comme capitaine surtout, car 11
n'y a pas de plus beau grade duns l'armée que celui de
chef do compagnie , le capitaine est le seul, eu effet, qui
puisse excrcei un commandement effectif, tout en Conseil
\anl h; contact immédiat avec ses soldats.
Ce lève était loin : la fatalité l'avait élouffé sous sa
pesante éteinte ; mais puisque Louis Dhurr n'avait pu le
réaliser comme officier, il le léaliserait comme soldat.
Comme soldat I mais où P
Un seul coips puuvait l'accueillir, sans qu'aucune diffi-
culté de nom ou de passé fût soulevée.
C'était la Légion étrangère.
Là entraient des enfanta de sei^e ans qui s'en donnaient
vingt, des hommes faits de quarante ans qui an accusaient
trente, des Allemands qui se disaient Lorrains, des nobles
qui cachaient leur nom, des désespérés qui s'essuyaient à
revivre, des déclassés, des forbans, des nihilistes, des
hommes qui faisaient peu de cas de la vie et ne cherchaient
qu'une occasion de donner la leur.
Mais ce corps était en Afrique où aux colonies. Or c'était
là, sur les bords de la Manche, qu'allait avoir lieu lu batailla.
Où aller ? A quel régiment se présenter au dehors de
celui-lù ?
• Sans doule, ou acceptait dans les corps d'armée mobilisés
de l'Armée d'Angleterre des engagements pour la durée de
lu guerre, mais bien que les formalités en fussent très sim-
plifiées, encore faltait-il justifier de sa ijuulité de Français.'
Celte qualité essentielle, comment lu prouverait-il P Quel
acle de nai-snnee pouvait il produire sans révéler son véri-
table nom ?
Quel nom nouveau allait-il prendre en rentrant définiti-
vement dans sa patrie, en cherchant ù revêtir l'uniforme1
Son ancien nom d'officier-? Jamais ! Son nom d'espion }
Encore moins I
Longtemps, pendant que le vapeur l'emportait ù Uavera
les plates solitudes du Nord, cette idée martela son niveau.
Quand il descendit ù Pans, il était line sur le nom qu'il
adopterait: Paul Evuin, un nom qui lui rappellerai! Éva ;
tuais il n'avait rien trouvé pour suppléer aux pièces d'état
civil qui lui manquaient.
Fabrique! un faux, il ^ avait songé tout d'abord . mec ta
four de main qu'il avait acquis pendant ces dernières années,
celle opération n'eût pas été difficile , mais l'idée, aussitôt
repoussée qu écluse, le révolta Commencer par un funv cette
vie nouvelle qu'il entrevoyait toute de sacrifice, cl d'expia-
tion ; non, cela, jamais I
Et toul à coup, à côté du nom d'Êva qui revenait sans
cesse, obsédant, celui de d'Argonne se présenta ù son esprit.
Il avait songé ù porter à l'officier de marine le dossier des
«ubmurme-bciu/î qu'il avait enlevé au chef du BrUisli-lnfor-
nxation-Offiot. Il voulait l'aviser du danger que faisait courir
à nos sous marins aussi bien qu'à nos dépôts d'explosifs,
celte usine mystérieuse qui s'élevait au Havre sur la cota
d'Ingouville : car à qui révéler tous ces secrets dangereux
pour la défense nationale ? dans quel ministère eût-il été
reçu et écouté, sans risquer do trahir son identité f
Et puisqu'il était décidé à parler à Henri d'Argonne,
pourquoi ne lui demanderait-il pas de lui faciliter cet enga-
gement dans un des corps mobilisés ?
(A suivre.)
m