Le Fifre: journal hebdomadaire (1.1889)

LE FIFRE

Et, droite comme un champignon,
Elle a dénoué son chignon
Qui, sur ses épaules, ruisselle.

Comptant bien, un jour, être celle
Qu'une vieille au ne\ en trognon
Doit vendre à quelque maquignon,
Elle est Jîère d'être pucelle.

Aux cassures de son miroir,
Coquette, elle se plait à voir
Cent fois se répéter ses formes,

Et rêve aux temps encor lointains
OU ses jolis petits tétins
Deviendront deux nénés énormes.

Armand SILVESTRE.

24 Mars 1880.

PARIS NOCTAMBULE

Pas bien intéressants , peut-être, le
rendez-vous du noctambulisme parisien.
Mais parmi les noctambules, il se trouve
quelques types originaux.

B... est un de ceux-là. Grand, forte
moustache blonde, assez joli garçon; un
tempérament de fer, et surtout un es-
tomac! Après une nuit blanche, avale vo-
lontiers les plats les plus indigestes en les
arrosant d'apéritifs variés.

Sa plus caractéristique manie, après
quelques heures de noctambulisme, est
d'aller au Bois à cheval et d'entraîner en
cette chevauchée tous ceux qu'il peut
rencontrer vers six ou sept heures du
matin.

Il en est résulté des scènes don-quichot-
tesques dans les manèges et chez les
loueurs de chevaux.

Récemment, le sous-maitre d'un ma-
nège voisin du boulevard voit arriver une
imprudente troupe déjeunes gens, d'hom-

mes mûrs et de quelques amazones... de
circonstance.

On eût dit la descente de la Courtille,
sauf les masques.

Le plus animé de la bande réclame un
pur-sang fougueux, un buveur d'air. Il y
en a qui parlent d'aller steeple-chaser au-
tour du tir aux pigeons.

Heureusement, les maîtres de manège
et les loueurs ne laissent guère, à une
heure indue, mettre en selle que les cava-
liers solides.

B... est de ceux-là, et, même après des
nuits blanches et accidentées, il monte
avec une sûreté et un brio surprenants.

Sa joie est de voir d'autres compagnons
moins habiles ou plus fatigués faire triste
figure derrière lui et amuser les officiers
de tous grades que l'on rencontre à che-
val, au Bois, à l'aube.

Cette équipée matinale est ce que B...
appelle « aller saluer les généraux ».

Fils de famille engagé aux cuirassiers,
en 1870, B... a conservé de son long pas-
sage au régiment de très vivants souve-
nirs; raille tout, excepté le chauvinisme;
pleure en voyant passer un régiment, san-
glote si ce sont des cuirassiers.

Depuis sa sortie du régiment, a beaucoup
voyagé, a dépensé pas mal d'argent, aurait
pu en gagner davantage ; mais le plus
clair de son temps .s'est passé en galantes
aventures. Retrouve toujours, avec les
femmes, à n'importe quelle heure, une
verve, un « bagout » intarissable.

Ne sait pas, la veille d'un duel, refuser
un rendez-vous tendre.

Emile André.

Le Fifre a la bonne fortune de pouvoir
annoncer à ses lecteurs qu'il publiera toutes
les semaines un sonnet inédit d'\rmand
Silvestre.

// est tiré chaque semaine dix exemplaires sur
japon numérotés, teintés et signés par l'auteur.
— Pr x du numéro : 20 francs.

Tous les Vendredis :
LE PIERROT, par Willette