Galerie contemporaine, littéraire, artistique (3. Année, 1 Semestre.1878)

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BRACQUEMOND

oila un artiste qui est une des physionomies
originales de l’art contemporain. Dans le monde
intellectuel des peintres et des poètes, Bracque-
mond est fort célèbre. Il passe à bon droit pour
aquafortiste hors ligne et n’ayant de rival sérieux
que Jules Jacquemart. Une belle épreuve avant
la lettre d’une planche de Bracquemond est un objet précieux et
qui atteint aux prix les plus élevés. Les Anglais en sont friands
et ils n’en laissent guère échapper dans les ventes. En France,
où les arts du noir et blanc n’ont rallié qu’un public restreint,
quelques amateurs seuls et les confrères de l’artiste savent con-
server ces rares estampes, qui sont des merveilles de travail.
Hélas! malgré tant d’efforts acharnés pour populariser chez nous
l’eau-forte, le public, routinier et semi-éduqué,lui préfère encore
la niaise aqua-tinte et la photographie impersonnelle. Et il en
sera toujours ainsi jusqu’à la consommation des siècles et de la
sacro-sainte prud’hommie !
Félix Bracquemond est né en 1833, à Paris. Il est donc aujour-
d’hui dans toute sa force d’homme et par conséquent dans sa


plénitude d’artiste. Au physique, c’est un grand gaillard, osseux
et nerveux, qui s’en va par les rues à grandes enjambées, le
front plissé par la réflexion et guettant des paysages ou des effets
de nature. Au moral, c’est un chercheur et un oseur. Très préoc-
cupé des procédés d’art et de leur application industrielle, il passe
sa vie à rechercher des secrets perdus et à en inventer de nou-
veaux. Les curiosités de l’artisan doublent en lui les rêves de
l’artiste, et, en cela, il ressemble beaucoup plus aux vieux maîtres
du xve et du xvie siècle qu’à ceux de notre âge, où tout se
classe et s’étiquette. Tout en Bracquemond rappelle ces braves et
grands ouvriers naïfs de l’art, même ses origines plébéiennes et
ses débuts. Les artistes que produit le peuple ont toujours quel-
que chose de plus complet et aussi de plus robuste que ceux qui
fleurissent sur les ruines des aristocraties du sang ou de l’argent.
A la mort de son père, survenue en janvier 1848, Félix, qui
venait d’atteindre à sa quinzième année, fut placé dans un ma-
nège dont le propriétaire était l’ami de sa famille. Il débutait
dans la vie en qualité d’élève écuyer! Qu’est-ce que cela pouvait
bien être, un élève écuyer? L’artiste se le demande encore. Peut-