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COURBET

e 31 décembre 1877, Gustave Courbet mou-
rait à la Tour .de Peiltz, près de Vevey, en
Suisse. Le célèbre chef de l’école réaliste ren-
dait son dernier soupir, seul, presque aban-
donné, sans soins, sans consolations, cloué par
la maladie sur un grabat, dans une triste et
froide chambre d'une vieille maison de ce village isolé. Aucun
parent, aucun ami n’était
debout à son chevet, pour
recevoir ses dernières pa-
roles et pour lui fermer
les yeux. Son regard d’a¬
gonisant s’est peut-être
égaré douloureusement
dans l’obscurité navrante
d’une sombre nuit d’hiver.
Impitoyable et cruelle des-
tinée ! Cet artiste si amou-
reux de la lumière, du
soleil et de la vie, si bruyant,
si animé et si gai, cet
homme naïf et bon, que le
nom seul de son village na-
tal, de son Ornans, rendait
fou de joie, qui avait tou-
jours sur les lèvres une
chanson de sa chère Fran-
che-Comté, est mort loin
de toutes ses affections, de
son pays, sur la terre de
l’exil, découragé, brisé par
la maladie, les douleurs
morales et l’abandon.
Quel étrange contraste,
si nous nous reportons à
trente ans en arrière ! Dans
les galeries des expositions
artistiques, dans les rues,
sur les places et dans les
lieux publics, 011 voit pas-
ser la tête haute, le visage
souriant, fier et superbe
comme un jeune dieu ou
un triomphateur, entouré d’un véritable cortège d’amis et de
flatteurs, un grand jeune homme d’une trentaine d’années.
Chacun épie la moindre de ses paroles, guette ses désirs ou réclame
un sourire d’approbation, comme font les courtisans auprès d’un
roi.
Les chroniqueurs nous transmettent soigneusement ses traits :
« Sa remarquable figure semble choisie et moulée sur un bas-
relief assyrien. Ses yeux noirs, brillants, mollement fendus et
bordés de cils longs et soyeux ont le rayonnement tranquille et
doux de l’antilope. La moustache, à peine indiquée sous le nez
aquilin, insensensiblement arqué, rejoint avec légèreté la barbe
déployée en éventail et laisse voir des lèvres épaisses, sensuelles,
d’un dessin vague, froissé, et des dents maladives ; la peau est
délicate, fine comme le satin et d’un ton brun, olivâtre, chan-

geant et nerveux; le crâne de forme conique, cléricale, et les
pommettes saillantes marquent l’obstination ; les narines vive-
ment agitées semblent trahir la passion. » La foule se retourne
curieusement sur son passage, pour regarder celui que l’on pro-
clame pompeusement le chef du réalisme et dont les œuvres et
la personnalité font l’objet de toutes les conversations.
Dans son légendaire atelier de la rue Hautefeuille, le temple de
la nouvelle religion artis-
tique, se presse toute une
foule d'admirateurs et de
curieux, des artistes comme
Dccamps, Corot, Chcna-
vard, etc., des écrivains,
des poètes, Gustave Plan-
che, Baudelaire, Th. Syl-
vestre, Proudhon, Champ-
fleury, le prophète du dieu ;
Théophile Gautier, etc. La
jeunesse ne jure que par
lui et défend sa gloire avec
une jalousie féroce. Tout
le monde s’occupe de lui.
On se querelle dans les
grands journaux à son su-
jet; les petits le prennent
pour but de leurs épi-
grammes et de leurs bons
mots. On le caricature,
on le représente sur les
théâtres. Il est le lion du
jour.
Cette popularité ou cet
engouement, comme l’on
voudra, nous paraît aujour-
d’hui presque invraisem-
blable. L’Empire démora-
lisateur a tué chez nous
l’admiration et l’enthou-
siasme. Pour dominer plus
aisément la nouvelle géné-
ration, il s’est efforcé de
l’abâtardir, en détournant
vers d’autres buts ses
aspirations et ses goûts innés pour le bien et pour le beau.
Aujourd’hui, de jeunes fous se suicideront ridiculement pour une
drôlesse; mais ils ne trouveront, pour une œuvre de génie, ni
enthousiasme, ni curiosité. Où sont les fiévreuses soirées à.Her-
nani, les triomphes artistiques de la Barque du Dante ? Où sont
les neiges d’antan? A cette époque privilégiée, on s’intéressait avec
passion à toute manifestation littéraire ou artistique. Un sonnet,
un drame, un livre ou un tableau faisaient événement. Lorsque
parut au Salon de 1848, signé du nom obscur d’un jeune homme
presque tout frais émoulu de sa province, ce tableau original et
puissant, /’Après-dîner à Ornans, on vit se renouveler les héroï-
ques luttes du romantisme. Ce jeune homme, Gustave Courbet,
qui avait déjà exposé quelques tableaux, où il cherchait pénible-
ment sa voie, son Portrait et celui de son chien (1844); un Guitarrero



GALERIE CONTEMPORAINE, LITTERAIRE, ARTISTIQ.E.

Cliché Carjat.
 
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