QUELQUES SCULPTURES EN BRONZE DE FILARETE. 389
destinés au grand public et dans lesquelles se rédigent les gros livres et les
lourds articles dits de vulgarisation ? Que vont dire les débitants attitrés de tant
d'Histoires générales de l’émaillerie depuis les temps les plus reculés jus-
qu’à nos jours, de grand, de moyen et de petit format? Je viens bien maladroi-
tement troubler la quiétude de ces honorables industriels, ébranler la foi robuste
de leurs fidèles consommateurs et menacer, dans ses débouchés, une branche
active du commerce national. La thèse sur laquelle ils vivaient et ils dormaient
depuis longtemps était si simple et si flatteuse pour notre orgueil! Il n’y a pas
d’émail peint hors de France avant le xvie siècle ou tout au moins avant l’appa-
rition des modèles français. Telle est l’opinion en cours d’exploitation. C’était la
doctrine de l’excellent M. Labarte, que voici dans toute sa candeur et dans
toute sa pureté :
« Les émaux d’Orvieto écartés du débat, que reste-t-il à l’Italie pour réclamer l’hon-
neur d’avoir été le berceau de la peinture en émail? Quels documents peut-elle présenter,
quels artistes peut-elle citer qui aient peint antérieurement au xvie siècle, avec des
couleurs vitrifiables, sans le secours de la ciselure, pour rendre les traits du dessin et
le modelé?.... L’Italie, qui est essentiellement conservatrice, n'aurait pas manqué, au
surplus, de garder pieusement les œuvres de ses peintres émailleurs, si elle en avait
possédé1.
A ces considérations d’ordre moral, je ne répondrai provisoirement que par
des faits matériels. Ce qui reste à l’Italie pour établir l’ancienneté de ses
travaux d’émaillerie peinte, ce sont plusieurs monuments conservés, quoique
méconnus, dans presque tous les Musées de l’Europe1 2. Ces monuments, il est
1. Labarte, Histoire des arts industriels2e édi-
tion , t. III, p. 385.
2. Le Musée du Louvre, notamment depuis la
donation Davillier, possède un nombre assez consi-
dérable d’émaux italiens. Une des plus belles pièces
connues est le médaillon à deux faces de la collec-
tion d’Ambras, à Vienne. Le plus extraordinaire
des émaux italiens que j’aie jamais vus est celui qui
appartient à M. le comte de Valencia, à Madrid.
Déjà au xvie siècle, croyons-nous, on savait faire
en France la distinction entre les émaux italiens et
les émaux de Limoges. On lit, dans un inventaire
inédit de 1561, qui m’est communiqué par M. Emile
Molinier, les deux passages suivants : « Ung petit
tableau d’esmail d’Italie, auquel y a une Notre Dame
de Pitié et aultres personnages, de la haulteur de
cinq poulces, dans ung estuy plat doublé de veloux.
— Ung autre tableau d’argent esmaillé à la façon
d’Italie ou y a ung Saint Jehan-Baptiste de la mesme
grandeur du précédent. »
Je crois que, de l’opposition des termes « émail
d’Italie » et « émail de Limoges, » on peut conclure
qu’il s’agit ici plutôt d’émaux peints que de nielles
ou d’émaux translucides sur relief.
GAZETTE ARCHÉOLOGIQUE. — ANNÉE 1885.
49
destinés au grand public et dans lesquelles se rédigent les gros livres et les
lourds articles dits de vulgarisation ? Que vont dire les débitants attitrés de tant
d'Histoires générales de l’émaillerie depuis les temps les plus reculés jus-
qu’à nos jours, de grand, de moyen et de petit format? Je viens bien maladroi-
tement troubler la quiétude de ces honorables industriels, ébranler la foi robuste
de leurs fidèles consommateurs et menacer, dans ses débouchés, une branche
active du commerce national. La thèse sur laquelle ils vivaient et ils dormaient
depuis longtemps était si simple et si flatteuse pour notre orgueil! Il n’y a pas
d’émail peint hors de France avant le xvie siècle ou tout au moins avant l’appa-
rition des modèles français. Telle est l’opinion en cours d’exploitation. C’était la
doctrine de l’excellent M. Labarte, que voici dans toute sa candeur et dans
toute sa pureté :
« Les émaux d’Orvieto écartés du débat, que reste-t-il à l’Italie pour réclamer l’hon-
neur d’avoir été le berceau de la peinture en émail? Quels documents peut-elle présenter,
quels artistes peut-elle citer qui aient peint antérieurement au xvie siècle, avec des
couleurs vitrifiables, sans le secours de la ciselure, pour rendre les traits du dessin et
le modelé?.... L’Italie, qui est essentiellement conservatrice, n'aurait pas manqué, au
surplus, de garder pieusement les œuvres de ses peintres émailleurs, si elle en avait
possédé1.
A ces considérations d’ordre moral, je ne répondrai provisoirement que par
des faits matériels. Ce qui reste à l’Italie pour établir l’ancienneté de ses
travaux d’émaillerie peinte, ce sont plusieurs monuments conservés, quoique
méconnus, dans presque tous les Musées de l’Europe1 2. Ces monuments, il est
1. Labarte, Histoire des arts industriels2e édi-
tion , t. III, p. 385.
2. Le Musée du Louvre, notamment depuis la
donation Davillier, possède un nombre assez consi-
dérable d’émaux italiens. Une des plus belles pièces
connues est le médaillon à deux faces de la collec-
tion d’Ambras, à Vienne. Le plus extraordinaire
des émaux italiens que j’aie jamais vus est celui qui
appartient à M. le comte de Valencia, à Madrid.
Déjà au xvie siècle, croyons-nous, on savait faire
en France la distinction entre les émaux italiens et
les émaux de Limoges. On lit, dans un inventaire
inédit de 1561, qui m’est communiqué par M. Emile
Molinier, les deux passages suivants : « Ung petit
tableau d’esmail d’Italie, auquel y a une Notre Dame
de Pitié et aultres personnages, de la haulteur de
cinq poulces, dans ung estuy plat doublé de veloux.
— Ung autre tableau d’argent esmaillé à la façon
d’Italie ou y a ung Saint Jehan-Baptiste de la mesme
grandeur du précédent. »
Je crois que, de l’opposition des termes « émail
d’Italie » et « émail de Limoges, » on peut conclure
qu’il s’agit ici plutôt d’émaux peints que de nielles
ou d’émaux translucides sur relief.
GAZETTE ARCHÉOLOGIQUE. — ANNÉE 1885.
49