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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Rien de plus souple, de plus enfantin, de plus familier que le petit
Jésus, tel que nous l'offre le dessin. Mais son bras gauche se rattache
mal à la main de sa mère qui le soutient. Soit que le peintre ait voulu
seulement motiver ce bras d'une façon plus naturelle, soit qu'il trouvât
trop tourmentées les lignes de ce corps charmant, soit encore que l'on
admette chez lui une préoccupation religieuse, un désir d'égaler le
calme pieux des œuvres de Fra Bartholomeo, toujours est-il que Raphaël
a redressé le divin Bambino en appuyant sa poitrine, et non plus son
visage, contre le genou de Marie. Par là s'est trouvé justifié un détail
d'intime tendresse dont on ne comprenait guère la portée dans le
dessin : le petit pied de l'enfant posé sur celui*de sa mère. Et comme
Jésus, ainsi grandi, ne pouvait plus regarder saint Jean que de haut, le
peintre a tourné vers sa mère son regard plein d'amour.
Ainsi, par des changements de détail qui s'enchaînent l'un à l'autre,
se modifie ou plutôt se complète, du dessin au tableau, l'idée mère de
la composition. Dans le dessin, l'acte d'adoration du petit saint Jean est
le centre où portent à la fois le regard de Jésus et le regard de Marie.
Dans le tableau, ce centre se déplace. L'œil de Jésus, foyer d'amour,
reçoit l'hommage de saint Jean et le reporte à sa mère. One poésie plus
haute, plus sereine, enveloppe les trois personnages. Le dessin, c'était
le sourire de la grâce innocente, éclos dans l'intimité du cœur. Le
tableau, c'est l'émotion tranquille d'une âme qui voit le beau.
Les différences que nous avons signalées, et plus encore le progrès
d'expression poétique bien évident dans le tableau, semblent indiquer
qu'il s'écoula entre la première pensée du peintre et sa réalisation défini-
tive un assez long espace de temps. En effet, si l'on admet la conjecture
de Passavant, qui cette fois nous paraît fondée, le tableau de la Belle
Jardinière serait celui que Raphaël commença en 1508 et qu'il laissa
inachevé, au moment de quitter Florence pour Rome, entre les mains de
Ridolfo Ghirlandajo1. Or, l'exécution du dessin présente la plus grande
analogie avec toutes les études que nous connaissons pour la Déposition
du palais Borghèse, antérieure d'une année. C'est le même système de
petites hachures croisées, alternant avec des hachures plus larges et plus
libres qui s'ellbrcent de suivre le modelé. Dans le dessin de la Belle Jar-
dinière, cette exécution atteint à un degré de beauté remarquable. On ne
sait ce qu'il faut le plus admirer, ou de la fermeté qui a conduit sans trem-
bler le trait limpide des jambes de la Vierge, ou des hésitations savantes
1. Lo carton du comte do Leicostor aurait pu être exécuté a ce moment pour com-
pléter les indications dont Ghirlandajo avait besoin.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Rien de plus souple, de plus enfantin, de plus familier que le petit
Jésus, tel que nous l'offre le dessin. Mais son bras gauche se rattache
mal à la main de sa mère qui le soutient. Soit que le peintre ait voulu
seulement motiver ce bras d'une façon plus naturelle, soit qu'il trouvât
trop tourmentées les lignes de ce corps charmant, soit encore que l'on
admette chez lui une préoccupation religieuse, un désir d'égaler le
calme pieux des œuvres de Fra Bartholomeo, toujours est-il que Raphaël
a redressé le divin Bambino en appuyant sa poitrine, et non plus son
visage, contre le genou de Marie. Par là s'est trouvé justifié un détail
d'intime tendresse dont on ne comprenait guère la portée dans le
dessin : le petit pied de l'enfant posé sur celui*de sa mère. Et comme
Jésus, ainsi grandi, ne pouvait plus regarder saint Jean que de haut, le
peintre a tourné vers sa mère son regard plein d'amour.
Ainsi, par des changements de détail qui s'enchaînent l'un à l'autre,
se modifie ou plutôt se complète, du dessin au tableau, l'idée mère de
la composition. Dans le dessin, l'acte d'adoration du petit saint Jean est
le centre où portent à la fois le regard de Jésus et le regard de Marie.
Dans le tableau, ce centre se déplace. L'œil de Jésus, foyer d'amour,
reçoit l'hommage de saint Jean et le reporte à sa mère. One poésie plus
haute, plus sereine, enveloppe les trois personnages. Le dessin, c'était
le sourire de la grâce innocente, éclos dans l'intimité du cœur. Le
tableau, c'est l'émotion tranquille d'une âme qui voit le beau.
Les différences que nous avons signalées, et plus encore le progrès
d'expression poétique bien évident dans le tableau, semblent indiquer
qu'il s'écoula entre la première pensée du peintre et sa réalisation défini-
tive un assez long espace de temps. En effet, si l'on admet la conjecture
de Passavant, qui cette fois nous paraît fondée, le tableau de la Belle
Jardinière serait celui que Raphaël commença en 1508 et qu'il laissa
inachevé, au moment de quitter Florence pour Rome, entre les mains de
Ridolfo Ghirlandajo1. Or, l'exécution du dessin présente la plus grande
analogie avec toutes les études que nous connaissons pour la Déposition
du palais Borghèse, antérieure d'une année. C'est le même système de
petites hachures croisées, alternant avec des hachures plus larges et plus
libres qui s'ellbrcent de suivre le modelé. Dans le dessin de la Belle Jar-
dinière, cette exécution atteint à un degré de beauté remarquable. On ne
sait ce qu'il faut le plus admirer, ou de la fermeté qui a conduit sans trem-
bler le trait limpide des jambes de la Vierge, ou des hésitations savantes
1. Lo carton du comte do Leicostor aurait pu être exécuté a ce moment pour com-
pléter les indications dont Ghirlandajo avait besoin.