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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 17.1864

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Nr. 1
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Lagrange, Léon: Le Salon de 1864, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18740#0039
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32

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Mais pourquoi ne pas oser lui dire qu’il se trompe en transportant clans
la sculpture un sujet bon à figurer en tête d’une romance? Madame Bertaux
n’est pas non plus sans reproche. En cherchant l’expression dramatique
aux dépens de la beauté morale, et la souffrance de la chair aux dépens
de la beauté physique, elle est sortie des données de son art. Aussi, de
quelque talent que témoigne le Jeune Gaulois prisonnier des Romains,
nous ne saurions y voir une tentative à encourager. M. Bartholdi, à qui
personne n’a marchandé l’éloge, quand il traduisait dans la langue du
moyen âge des inspirations très-personnelles ou qu’il composait avec
goût des fontaines monumentales, me pardonnera de rester froid devant
son Martyr moderne-, œuvre hardie peut-être, mais d’une exécution iné-
gale, conçue d’ailleurs en vue de l’effet dramatique et non en vue de la
beauté. Enfin, aux dernières limites de la fantaisie, M. Gordier nous attend
avec sa Jeune mulâtresse. Si le progrès de la polychromie consiste à mul-
tiplier les matières précieuses, M. Cordier est en progrès. Peut-être vau-
drait-il mieux s’en tenir à quelques marbres dont les couleurs variées
n’excluent pas l’harmonie, et, au lieu de descendre aux infiniment petits
de la mosaïque, procéder par larges surfaces. Dans cet art, que je suis
loin de réprouver, l’abus se trouve si près de l’usage!

Il suffit de jeter les yeux sur le Mercure inachevé de feu M. Brian,
pour comprendre à quel degré de beauté peut atteindre l’art statuaire
réduit à ses éléments classiques, l’étude de la nature et l’étude de l’an-
tique. M. Brian possédait un sentiment sculptural très-juste, sinon très-
élevé, et c’est ce sentiment qui fait le principal mérite de ses œuvres.
Longtemps le Faune du musée d’Avignon, ignoré de la plupart de nos
contemporains, a été pour moi la source d’un plaisir quotidien que n’é-
galait certainement pas la vue de la Cassandre de Pradier, placée tout à
côté. Dans le Mercure je retrouve les mêmes qualités sérieuses et sobres.
On dira que l’état fruste de l’ébauche contribue à lui donner un bon
aspect. Je n’en crois rien. Supposez à l’état d’ébauche telle ou telle sta-
tue d’un artiste inférieur, vous aurez une masse inerte, ce que l’on appelle
en style d’atelier un sac de son. Au contraire, si une statue inachevée
nous intéresse, si les formes s’y trouvent déjà assez complètement indi-
quées pour nous paraître belles, c’est que l’artiste vaut mieux que son
œuvre. En décernant au Mercure la médaille d’honneur, le jury n’a
peut-être pas rempli l’objet de cette récompense exceptionnelle, destinée,
croyons-nous, à signaler au public, au gouvernement, et aux artistes, un
maître vivant. Mais s’il s’est trompé, il ne pouvait commettre une erreur
plus heureuse ni couronner des qualités qui méritent mieux d’être recom-
mandées aux sculpteurs de notre temps.
 
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