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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tional Gallery, et surtout avec le vieux chanoine du tableau de Bruges.
Mais la date, ainsi que le nom du personnage, n’importent que secondai-
rement. Ce qui intéresse surtout le monde des arts, c’est la mise au jour
d’un pareil trésor, obscurément caché jusqu’en 1867 dans la collection
de M. Philip Engels, à Cologne, quoiqu’il y fût attribué à Hubert van Eyck.
A la même exposition de Bruges, en 1867 M. Suermondt avait aussi
exposé une Madone, gravée dans la Wiener Kunslblatt, où le professeur
Ilotho l’attribuait à Hubert van Eyck, attribution émise d’abord par
M. Héris dans le Journal des Beaux-Arts d’Anvers. M. Waagen, dans la
même Revue de Vienne, a restitué le tableau à Jan, « sous l’intluence de
son frère Hubert», et M. Lübke, dans son Histoire de la peinture fla-
mande, le décrit « parmi les œuvres authentiques de Jan van Eyck. »
Waagen lui assignait même une date approximative, à cause du caractère
du paysage méridional, avec des citronniers, des palmiers et autres
arbres étrangers au Nord : vers 1429, époque à laquelle Jan van Eyck
était en mission auprès de Jean Ier, roi de Portugal, pour peindre le por-
trait de l’infante Isabelle, demandée en mariage par le duc de Bourgo- .
gne, Philippe le Bon. En acceptant cette date, on s’explique que le style
de cette première manière ait fait songer à Hubert, dont le dessin est
censé plus grandiose que celui de Jan. Les critiques allemands soutien-
nent volontiers que Hubert représente l’idéal et que Jan représente le
réalisme. Je crois avec eux que le Père éternel, la Vierge et le saint
Jean, dans la partie supérieure de XAgneau, l’Adam et l’Eve dans l’in-
térieur des volets d’en haut (maintenant au musée de Bruxelles), peuvent
être attribués à Hubert, dont on ne saurait d’ailleurs citer avec certi-
tude aucune autre œuvre absolument authentique1. Je veux bien que
ces fragments de XAgneau surpassent le reste par une certaine grandeur
austère, par la simplicité majestueuse des attitudes, des draperies, par
la science anatomique, et même par l’intensité de la couleur. Mais encore
ne savons-nous point quelle participation eut Jan'van Eyck dans l’exécu-
tion de ces morceaux qui n’étaient peut-être pas achevés non plus à la
mort de Hubert en 1426. Tout ce qui est prouvé par l’inscription décou-
verte à Berlin en 1823 sur le cadre du panneau extérieur, c’est que Hu-
bert incepit et que Johannes perfecit.
Assurément la Madone de M. Suermondt a une grandeur de conception
qui ne semble pas avoir toujours préoccupé Jan van Eyck, plus amoureux
1. Lo Triomphe de l’Église, conservé au Nacional Museo à Madrid, composition
qui a beaucoup d’analogie avec Y Agneau, est attribué à Hubert par MM. Passavant et
Waagen. MM. Crowe ot Cavalcaselle tiennent qu’il est de Jan, et je suis absolument de
leur avis, après avoir étudié plusieurs fois ce chef-d’œuvre à Madrid.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
tional Gallery, et surtout avec le vieux chanoine du tableau de Bruges.
Mais la date, ainsi que le nom du personnage, n’importent que secondai-
rement. Ce qui intéresse surtout le monde des arts, c’est la mise au jour
d’un pareil trésor, obscurément caché jusqu’en 1867 dans la collection
de M. Philip Engels, à Cologne, quoiqu’il y fût attribué à Hubert van Eyck.
A la même exposition de Bruges, en 1867 M. Suermondt avait aussi
exposé une Madone, gravée dans la Wiener Kunslblatt, où le professeur
Ilotho l’attribuait à Hubert van Eyck, attribution émise d’abord par
M. Héris dans le Journal des Beaux-Arts d’Anvers. M. Waagen, dans la
même Revue de Vienne, a restitué le tableau à Jan, « sous l’intluence de
son frère Hubert», et M. Lübke, dans son Histoire de la peinture fla-
mande, le décrit « parmi les œuvres authentiques de Jan van Eyck. »
Waagen lui assignait même une date approximative, à cause du caractère
du paysage méridional, avec des citronniers, des palmiers et autres
arbres étrangers au Nord : vers 1429, époque à laquelle Jan van Eyck
était en mission auprès de Jean Ier, roi de Portugal, pour peindre le por-
trait de l’infante Isabelle, demandée en mariage par le duc de Bourgo- .
gne, Philippe le Bon. En acceptant cette date, on s’explique que le style
de cette première manière ait fait songer à Hubert, dont le dessin est
censé plus grandiose que celui de Jan. Les critiques allemands soutien-
nent volontiers que Hubert représente l’idéal et que Jan représente le
réalisme. Je crois avec eux que le Père éternel, la Vierge et le saint
Jean, dans la partie supérieure de XAgneau, l’Adam et l’Eve dans l’in-
térieur des volets d’en haut (maintenant au musée de Bruxelles), peuvent
être attribués à Hubert, dont on ne saurait d’ailleurs citer avec certi-
tude aucune autre œuvre absolument authentique1. Je veux bien que
ces fragments de XAgneau surpassent le reste par une certaine grandeur
austère, par la simplicité majestueuse des attitudes, des draperies, par
la science anatomique, et même par l’intensité de la couleur. Mais encore
ne savons-nous point quelle participation eut Jan'van Eyck dans l’exécu-
tion de ces morceaux qui n’étaient peut-être pas achevés non plus à la
mort de Hubert en 1426. Tout ce qui est prouvé par l’inscription décou-
verte à Berlin en 1823 sur le cadre du panneau extérieur, c’est que Hu-
bert incepit et que Johannes perfecit.
Assurément la Madone de M. Suermondt a une grandeur de conception
qui ne semble pas avoir toujours préoccupé Jan van Eyck, plus amoureux
1. Lo Triomphe de l’Église, conservé au Nacional Museo à Madrid, composition
qui a beaucoup d’analogie avec Y Agneau, est attribué à Hubert par MM. Passavant et
Waagen. MM. Crowe ot Cavalcaselle tiennent qu’il est de Jan, et je suis absolument de
leur avis, après avoir étudié plusieurs fois ce chef-d’œuvre à Madrid.