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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 6.1872

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Nr. 1
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Bonnaffé, Edmond: Paradoxes, 1, Les collectionneurs
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https://doi.org/10.11588/diglit.21408#0026

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22

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

poids matériel auquel ne saurait s’attacher une âme pure et qui se rap-
pelle son origine. »

Lucien à son tour : « Pourquoi tous ces livres? dit-il à un bibliophile.
Tu peux les étendre pour te coucher dessus, les coller sur ta peau, t’en
habiller, tu n’en seras pas plus savant; le singe est toujours singe, eut-
il un habit d’or! » Pétrarque et Robert Estienne, — un poëte-bibliophile
et un imprimeur! — parlent comme Lucien. Une mazarinade est encore
plus vive :

Celte superbe librairie
Ne t’a pas rendu plus sçauant
Que tu l’estois auparauant,

Cardinal excrément de Rome.

Inutile de rappeler La Bruyère et son fameux chapitre sur les curieux;
celui-là les a mordus jusqu’au sang.

De nos jours, on n’est guère plus tendre. Je ne sais quel aimable écri-
vain demandait « pour tous les curieux la surveillance de la haute police
comme coupables de dépecer par morceaux la France monumentale et
artistique. » J’en citerais vingt tout aussi charitables, et qui s’escriment
périodiquement contre la manie du bric-à-brac et du bibelot. Chaque
année, quand reviennent, avec le printemps, les expositions de pein-
ture et le besoin de s’épancher sur la prétendue décadence de l’art, il se
trouve toujours des gens de bonne volonté pour ravauder ces axiomes
percés à jour qui ne manquent jamais leur effet dans notre beau pays de
France : « Si l'art s’en va, la faute en est à ces amateurs maniaques (qui
réservent leur fortune pour le bric-à-brac de Vhôtel Drouot et dédaignent
la peinture contemporaine. » — On a beau citer les ventes retentissantes
de l’école moderne, ils ont réponse à tout et s’empressent d’exhumer de
leur tiroir le cliché numéroté d’avance sur « ces riches ennuyés et blasés,
gens éminemment pratiques, pour qui un tableau n’est cpi'un billet de
banque encadré. » — Insistez-vous : « Laissez donc, disent-ils, pour
vous il ny a pas d'effet cl'hiver, ni d’été, ni de malin, ni de soir-, il n’y
a que des effets négociables à l’hôtel des Commissaires-priseurs-, vous
mériteriez de payer patente. » Et la troupe des incompris, tous les grands
génies méconnus font chorus.

En vérité, messieurs, vous devenez bien délicats sur la vertu des
amateurs. Que vous importe le pourquoi de leurs acquisitions? Ils
n’achètent que des œuvres reconnues belles, c’est vous qui le dites, et
les payent princièrement. Faites-en donc à votre tour; on vous les payera
de même. Quoi ! vous avez sous la main la planche aux billets de banque
 
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