DOI Heft:
Nr. 1
DOI Artikel:Mantz, Paul: Salon de 1872, [2]
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GAZETTE DES B EAUX-A RTS.
Nous croyons qu’il faudra se souvenir de l’exposition de sculpture
en 1872. Des œuvres telles que le Guerrier au repos de M. Leenhoff,
le David de M. Mercié, la Jeanne Dure de M. Chapu et le groupe de
M. Barrias, ne sauraient passer inaperçues dans les annales que nous
écrivons chaque jour sous la dictée des artistes. Par la diversité du sen-
timent auquel elles se rattachent, ces productions donnent la mesure de
la liberté véritablement sans entraves que l’art a su conquérir. La pein-
ture, — nous l’avons montré, — bénéficie aujourd’hui des mêmes fran-
chises. 11 n’y a pas une école, il y en a dix, et chaque maître combat à
son gré sous le drapeau qu’il a choisi.
Ce n’est pas sans un long effort, ce n’est point sans de pénibles luttes
que ce résultat a été atteint. Parmi ceux qui profitent à l’heure pré-
sente du droit de travailler librement et d’obéir à l’idéal préféré, tous
ne savent pas combien il a fallu combattre pour conquérir, pied à pied,
jour par jour, le droit de peindre et de modeler à sa guise. Mais les
vieux se souviennent encore de la grande bataille et ils frémissent par-
fois à la pensée des coups qu’ils ont portés ou des horions qu’ils ont
reçus. Grâce à leur vaillance, grâce au progrès, lent mais sûr, qui s’est
fait dans l’esprit public, le terrain est désormais déblayé ; la voie s’étend
largement ouverte; il ne nous est pas défendu d’être spirituel, émouvant
ou sublime. Et plaise à Dieu que le principe d’autorité, qui est chargé,
comme on sait, de sauver les peuples et qui s’en acquitte avec de si
tragiques maladresses, ne s’avise plus jamais d’envahir le domaine des
arts ! Les servitudes sont si lourdes, et il est si bon de respirer au grand
air ! Soyons donc attentifs à garder nos conquêtes. Laissons l’artiste
choisir librement son rêve, laissons-le s’exprimer à sa fantaisie dans le
langage sincère qui est la formule de son idéal. Et vous tous, qui tra-
vaillez et qui pensez, si dans votre chemin vous rencontrez l’exception,
la singularité, l’inédit, ne vous irritez pas; prenez des attitudes respec-
tueuses, ou attendez. Si ce n’est point votre cœur qui vous pousse h
être fraternel, soyez tolérant par prudence. On ne sait pas ce qui peut
arriver. La vérité a parfois un manteau qui empêche de la bien voir.
Derrière les vapeurs confuses du matin, il y a l’aurore. L’hérésie qui vous
épouvante est peut-être un dogme commencé.
PAUL MANTZ.
GAZETTE DES B EAUX-A RTS.
Nous croyons qu’il faudra se souvenir de l’exposition de sculpture
en 1872. Des œuvres telles que le Guerrier au repos de M. Leenhoff,
le David de M. Mercié, la Jeanne Dure de M. Chapu et le groupe de
M. Barrias, ne sauraient passer inaperçues dans les annales que nous
écrivons chaque jour sous la dictée des artistes. Par la diversité du sen-
timent auquel elles se rattachent, ces productions donnent la mesure de
la liberté véritablement sans entraves que l’art a su conquérir. La pein-
ture, — nous l’avons montré, — bénéficie aujourd’hui des mêmes fran-
chises. 11 n’y a pas une école, il y en a dix, et chaque maître combat à
son gré sous le drapeau qu’il a choisi.
Ce n’est pas sans un long effort, ce n’est point sans de pénibles luttes
que ce résultat a été atteint. Parmi ceux qui profitent à l’heure pré-
sente du droit de travailler librement et d’obéir à l’idéal préféré, tous
ne savent pas combien il a fallu combattre pour conquérir, pied à pied,
jour par jour, le droit de peindre et de modeler à sa guise. Mais les
vieux se souviennent encore de la grande bataille et ils frémissent par-
fois à la pensée des coups qu’ils ont portés ou des horions qu’ils ont
reçus. Grâce à leur vaillance, grâce au progrès, lent mais sûr, qui s’est
fait dans l’esprit public, le terrain est désormais déblayé ; la voie s’étend
largement ouverte; il ne nous est pas défendu d’être spirituel, émouvant
ou sublime. Et plaise à Dieu que le principe d’autorité, qui est chargé,
comme on sait, de sauver les peuples et qui s’en acquitte avec de si
tragiques maladresses, ne s’avise plus jamais d’envahir le domaine des
arts ! Les servitudes sont si lourdes, et il est si bon de respirer au grand
air ! Soyons donc attentifs à garder nos conquêtes. Laissons l’artiste
choisir librement son rêve, laissons-le s’exprimer à sa fantaisie dans le
langage sincère qui est la formule de son idéal. Et vous tous, qui tra-
vaillez et qui pensez, si dans votre chemin vous rencontrez l’exception,
la singularité, l’inédit, ne vous irritez pas; prenez des attitudes respec-
tueuses, ou attendez. Si ce n’est point votre cœur qui vous pousse h
être fraternel, soyez tolérant par prudence. On ne sait pas ce qui peut
arriver. La vérité a parfois un manteau qui empêche de la bien voir.
Derrière les vapeurs confuses du matin, il y a l’aurore. L’hérésie qui vous
épouvante est peut-être un dogme commencé.
PAUL MANTZ.