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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 9.1874

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Nr. 3
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Marcille, Eudoxe: Les dernières lettres de Prud'hon
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https://doi.org/10.11588/diglit.21838#0314
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LES DERNIÈRES LETTRES DE PRUD’HON.

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liens de bonheur s’v rattachent! Bien plus, ce sentiment maternel allège les peines, fait
oublier les fatigues. Une mère se complaît dans son enfant chéri ; elle voit en lui l’image
de ce qu’elle aime; elle savoure ce fruit de sa tendresse, elle est heureuse dans les soins
qu’elle lui donne, et, dans l’ivresse de son cœur, rien n’est à comparer à ce qu’elle
éprouve. Ma chère amie, laisse-toi aller au charme qui t’enchante, berce-toi à l’avance
dans la pensée de ton futur bonheur, en attendant la réalité du songe qui te séduit.
Bientôt les cris de cet enfant si cher viendront éveiller tes alarmes; l’inquiétude, les
soucis se mêleront assez à tes plaisirs, et, plus d’une fois, en mettant les choses en
balance, tu douteras si c’est un avantage toujours vrai d’être devenue mère. Ainsi la
vie est mélangée de bien et de mal, de plaisirs et de contrariétés' quelques étincelles
de bonheur s’y perdent dans un déluge de peines; elle traverse rapidement l’instant
heureux, coule avec lenteur dans les chagrins et la souffrance; on arrive néanmoins au
bout de sa carrière, et l’on demande, en regardant derrière soi, si c’était la peine de
connaître l’existence.

« Voilà un temps infini que je n’ai eu de nouvelles de mon pauvre Philos, cela me
chagrine; mande-moi si tu en as reçu. 11 nous avait dit devoir venir en France, à
Paris : est-il en route? ou est-il encore à l’Ile de France?...

« Ton frère Hippolyte est toujours dans ses examens; il t’embrasse affectueusement,
ainsi que tous tes amis. M. de Roisfremont et ses chers enfants te font mille amitiés.
Mmes Lordon et Trézel sont à la campagne pour quelques jours; Mmc Antoinette est
avec une de ses amies à cinquante lieues de Paris, et ne reviendra qu’à la fin
d’octobre.

« Adieu, mes chers enfants, soyez heureux, c’est le vœu de votre père.

« Prud’hon, »

Le 15 décembre 1822, deux mois avant sa mort, Prud’hon s’excuse de ne pouvoir
aller à Lorient pour les couches de sa fille.

« Paris, ce 15 décembre 1822 *.

« Ma chère fille,

« Ma précédente lettre, qui a croisé la tienne, a dû répondre d’avance à celle que
tu m’as écrite; tu y as vu les raisons qui m’empêchaient d’être en rapport avec ce que
tu désires. Il m’aurait été agréable de te voir, chère enfant, d’être là au moment de tes
couches; mais ce n’est pas avec ma santé débile qu’on entreprend des voyages, surtout
dans une saison qui devient rigoureuse. Ainsi, ma chère Émilie, j’ai du regret de ne
pouvoir te donner une satisfaction qui eût ajouté à celle que tu auras d’être mère. Ne
sois pas trop contrariée, chère enfant, de ce contre-temps fâcheux; tout est mélangé
dans la vie, et nous sommes trop heureux lorsque le mal n’efface pas totalement le
bien que le sort nous présente. Si, par hasard, dans le courant de l’été prochain, je
trouvais jour à aller te voir, tu dois croire que j’en saisirais l’occasion. Te le pro-
mettre, je ne le puis. Enfin, l’on ne peut décider pour l’avenir, car, lorsqu’on est déçu
dans son espoir, la peine en est d’autant plus cuisante, et mieux eût valu ne compter
sur rien.

« Chère enfant, je ne te recommande pas les soins, les ménagements et la prudence.
Tu sais qu’en circonstances pareilles il ne faut rien négliger. Je compte là-dessus sur

1. Madame Deval jeune, rue Pont-Carré, n° 14, à Lorient.
 
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