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204 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
fortune; par cela seul qu'il avait assez de capitaux pour attendre, il
n'attendit point. Le sort, dont les décisions cachent souvent un fonds
d'ironie, rendit inutile ce qui avait paru indispensable, et comme l'eau,
suivant sa vieille habitude, va toujours à la rivière, le succès vint en
toute hâte justement parce qu'on n'était pas pressé de l'obtenir.
Cependant l'excellent esprit du directeur y fut bien aussi pour
quelque chose. Non content de se conformer à la pensée élevée et géné-
reuse qui avait guidé nos premiers pas, il développa dans son recueil ce
qu'on appelait au xvine siècle de ce nom charmant : la curiosité. La
chose lui était d'ailleurs bien facile, à lui qui était le modèle des curieux.
Les trésors qu'il possédait dans sa collection, il résolut d'en faire part à
des souscripteurs dont le nombre s'était rapidement accru, et, au lieu de
conserver pour lui-même avec un soin jaloux les tableaux, les bronzes,
les ivoires, les médailles, les dessins de maîtres, les eaux-fortes de
peintres, les marbres et les porcelaines dont il était entouré, il n'eut
point de repos qu'il ne les eût fait graver à l'intention de ses lecteurs,
voulant que chacun pût jouir des raretés contenues dans ses portefeuilles
et de tous les joyaux de son cabinet.
Par ses soins, du reste, et par la munificence inaccoutumée avec
laquelle il rétribuait les graveurs, il obtint et fit paraître des planches
exquises : la Source d'Ingres et la Halte de Meissonier, par Flameng,
Y Enfant bleu de Gainsborough et le Saint Sébastien d'Eugène Delacroix,
par le même; le Condottiere d'Antonello de Messine et le Gattamelata de
Donatello, par Gaillard, les eaux-fortes vibrantes d'Edmond Hédouin,
d'après Watteau, d'après Taunay, et ces morceaux gravés par Jules
Jacquemart avec une si étonnante nouveauté de pointe et de burin :
bijoux antiques, monnaies de Syracuse, armures damasquinées du plus
fin travail, vases de Chine et autres ouvrages merveilleux de l'art orien-
tal, où l'eau-forte a fait sentir le poli des laques, le gras du jade, le
poids et la sonorité de l'airain, l'aspect des craquelures, des gaufrures
et des dorures, les cloisons déliées et les teintes profondes de l'émail.
Lorsqu'il faisait dessiner et graver par Léon Gaucherel, Maxime Lalanne,
Haussoullier, des objets à lui appartenant, ses laques, ses émaux, ses
bronzes, ses dessins de Léonard, de JNiccolo, d'Etienne de Laulne, de
Rembrandt, et les nielles de Jacopo de Barbarj, et cette Paix de Maso
Finiguerra, qu'il avait eu la bonne fortune de trouver complète et qui
représente l'Adoration des mages, Emile Galichon désirait un rendu par-
fait, il demandait une estampe où tout serait dit, où tout serait sen-
sible et en quelque sorte palpable. Il voulait que l'amateur éloigné qui
au fond de sa province ou de son château recevait chaque mois son
204 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
fortune; par cela seul qu'il avait assez de capitaux pour attendre, il
n'attendit point. Le sort, dont les décisions cachent souvent un fonds
d'ironie, rendit inutile ce qui avait paru indispensable, et comme l'eau,
suivant sa vieille habitude, va toujours à la rivière, le succès vint en
toute hâte justement parce qu'on n'était pas pressé de l'obtenir.
Cependant l'excellent esprit du directeur y fut bien aussi pour
quelque chose. Non content de se conformer à la pensée élevée et géné-
reuse qui avait guidé nos premiers pas, il développa dans son recueil ce
qu'on appelait au xvine siècle de ce nom charmant : la curiosité. La
chose lui était d'ailleurs bien facile, à lui qui était le modèle des curieux.
Les trésors qu'il possédait dans sa collection, il résolut d'en faire part à
des souscripteurs dont le nombre s'était rapidement accru, et, au lieu de
conserver pour lui-même avec un soin jaloux les tableaux, les bronzes,
les ivoires, les médailles, les dessins de maîtres, les eaux-fortes de
peintres, les marbres et les porcelaines dont il était entouré, il n'eut
point de repos qu'il ne les eût fait graver à l'intention de ses lecteurs,
voulant que chacun pût jouir des raretés contenues dans ses portefeuilles
et de tous les joyaux de son cabinet.
Par ses soins, du reste, et par la munificence inaccoutumée avec
laquelle il rétribuait les graveurs, il obtint et fit paraître des planches
exquises : la Source d'Ingres et la Halte de Meissonier, par Flameng,
Y Enfant bleu de Gainsborough et le Saint Sébastien d'Eugène Delacroix,
par le même; le Condottiere d'Antonello de Messine et le Gattamelata de
Donatello, par Gaillard, les eaux-fortes vibrantes d'Edmond Hédouin,
d'après Watteau, d'après Taunay, et ces morceaux gravés par Jules
Jacquemart avec une si étonnante nouveauté de pointe et de burin :
bijoux antiques, monnaies de Syracuse, armures damasquinées du plus
fin travail, vases de Chine et autres ouvrages merveilleux de l'art orien-
tal, où l'eau-forte a fait sentir le poli des laques, le gras du jade, le
poids et la sonorité de l'airain, l'aspect des craquelures, des gaufrures
et des dorures, les cloisons déliées et les teintes profondes de l'émail.
Lorsqu'il faisait dessiner et graver par Léon Gaucherel, Maxime Lalanne,
Haussoullier, des objets à lui appartenant, ses laques, ses émaux, ses
bronzes, ses dessins de Léonard, de JNiccolo, d'Etienne de Laulne, de
Rembrandt, et les nielles de Jacopo de Barbarj, et cette Paix de Maso
Finiguerra, qu'il avait eu la bonne fortune de trouver complète et qui
représente l'Adoration des mages, Emile Galichon désirait un rendu par-
fait, il demandait une estampe où tout serait dit, où tout serait sen-
sible et en quelque sorte palpable. Il voulait que l'amateur éloigné qui
au fond de sa province ou de son château recevait chaque mois son