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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 14.1876

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Nr. 3
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Bonnaffé, Edmond: À propos d'un passage de Plutarque, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.21842#0219
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A PROPOS D’UN PASSAGE DE PLUTARQUE. 205

de mauvaise humeur, une boutade isolée. Écoutez donc la parole de Lucien
racontant à son auditoire une vision de sa jeunesse.

Deux femmes lui étaient apparues et cherchaient à l’entraîner cha-
cune de son côté. La première avait l’air d’un artisan, le langage gros-
sier, les cheveux en désordre, les mains calleuses, la robe retroussée et
couverte de poussière : c’était la Sculpture. L’autre, richement parée
et d’une physionomie avenante, s’exprimait avec élégance : « Mon fds,
disait-elle, je suis la Science. Si tu suis l’autre femme, tu ne seras qu’un
manœuvre te fatiguant le corps, voué à l’obscurité, l’esprit flétri, inca-
pable de faire envie à tes concitoyens; quand tu deviendrais un Phidias,
un Polyclète, quand tu ferais mille chefs-d’œuvre, c’est ton art que
chacun louera; parmi ceux qui les verront, il n’y en a pas un seul, s’il a
le sens commun, qui désire te ressembler, car, si habile que tu sois, tu
passeras toujours pour un vil ouvrier, vivant du travail de tes mains.
Courbé vers le sol, sans jamais relever la tête, sans penser à rien de
mâle et de libre, tu ne songeras qu’à bien façonner, à bien polir tes ou-
vrages, mais nullement à te polir, à te façonner toi-même et tu te met-
tras au-dessous des pierres1. »

Le dernier trait est cruel et Lucien ne pouvait manquer de laisser
la laide ouvrière, pour se jeter dans les bras d’une personne aussi per-
suasive.

A la rigueur Plutarque a une excuse : il appartient à une vieille fa-
mille de Chéronée, imbue des préjugés aristocratiques de la race béo-
tienne. Lucien est un autre homme. Petit-fds et neveu de sculpteurs,
il entra de bonne heure dans l’atelier de son oncle qui le traita rude-
ment; si bien que le jeune apprenti renonça pour toujours au métier et
lui garda rancune. Malgré ces mauvais souvenirs, Lucien ne peut oublier
son origine, c’est un artiste; s’il parle d’une œuvre de Zeuxis ou
d’Apelle, d’Alcamène ou de Phidias, il le fait avec à-propos, en homme
du métier. Mais quoi! le connaisseur a beau se passionner pour l’œuvre,
le philosophe méprise l’ouvrier.

N’en déplaise à nos deux moralistes, leurs prédécesseurs pensaient
autrement. L’ancienne école plaçait la peinture et la sculpture au
premier rang des arts libéraux2, et trouvait bon que l’artiste reconnu
le plus habile reçût des honneurs exceptionnels3. Au rapport d’Aris-
tote, le dessin faisait partie de l’éducation mondaine4, et les meilleures

1. Lucien, le Songe; Discours de la Science.

2. Pline, XXXV, '10. — Senèque, Lelt. 88.

3. Ém. David, Recherches sur l’art sial., 152 et suiv.

4. De Rep, VIII, 7.
 
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