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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
A l’intérieur, la situation n’est pas moins bonne. Le public et les artistes senblent
d’accord sur bien des points. Si ceux-ci, je le répète, produisent immensément, le
public a des besoins insatiables, et le mécanisme de ce fait industriel est tel que nulle
part, sauf de courtes et temporaires exceptions, on n’aperçoit trop d’engorgement-
Grâce à cet impôt libéral, prélevé chaque année sur le budget de vos fantaisies, tous
vivent ou à peu près^ — et si cet à peu près, messieurs, cache ici comme ailleurs
bien des souffrances et de regrettables misères, devons-nous nous accuser d’un mal-
heur qui pourrait être une des lois mêmes de l’émulation, une des nécessités de la
vie? La plupart prospèrent!; quelques-uns at'eignent à la richesse; un certain nombre
devraient achever leur carrière dans l’opulence. Les moyens d’exposition abondent. Us
sont divers, de toute nature et devenus si réguliers, qu’il n’y a plus, pour ainsi dire,
d’interruption dans ce courant continuel d’affaires ou de sympathies, qui met en com-
munication les intelligences ou les intérêts. Partout où il y a quelque lacune, on y
supplée; ce que l’initiative du gouvernemmt no suffit pas à faire, d’autres l’achèvent.
Et comme dans cette répartition, si égale qu’elle soit, de faveurs, de publicité ou
d’honneurs, il se trouve toujours ou des imperfections, ou des oublis, ou des intérêts
froissés, ou des ambitions impatientes, comme rien n’est parfait dans ce monde : —
voyez, il se trouve aussi des spéculateurs ingénieux, disons mieux, des philanthropes
assez entreprenants pour rêver la perfection d’un système d’exhibitions déjà fort com-
plexe et pour le tenter. Appelons ces lieux de publicité des marchés, si nous parlons
affaires, — nommons-les des foyers d’influence ou des centres d’enseignement, si
nous changeons de point de vue; constatons dans tous les cas que bien peu de chose
manque encore aux modes de publicité dont les artistes disposent et que sous ce rap-
port leur situation doit faire envie aux gens de lettres et aux musiciens.
Considérez que les journaux sont ’a leur merci. Chaque exposition annuelle est une
solennité, une fête pour l’intelligence, comme on le répète, dont tous s’emparent,
depuis le plus petit jusqu’au plus grand, depuis le plus léger jusqu’au plus sérieux,
pour entretenir pendant six mois le monde entier de ce que la France a produit de
peinture dans l’année courante. Bien peu d’œuvres échappent à cette investigation
minutieuse de tout ce qui porte à peu près la marque du bien. Bien peu de noms sont
privés de cette douceur de passer de bouche en bouche et de s’éterniser. Renommée
éphémère, soit; mais de quoi se compose la vraie renommée, sinon d’un peu ou de
beaucoup de bruit qui se renouvelle et puis qui dure? — Les œuvres sont reproduites
avec profusion, et tous les procédés de l’industrie la plus moderne semblent avoir été
créés pour servir d’agents à cette circulation prodigieuse d’une œuvre unique, multi-
pliée presque à l’égale du livre. Cela ne suffit point encore, et pour que la reproduc-
tion soit, sinon plus complète, du moins plus piquante en adoptant jusqu’aux formes
littéraires, des écrivains de mérite, d’un grand talent, d’un art consommé, se font com-
plaisamment les copistes du dernier des peintres, et consacrent, dans un but que je
ne me suis jamais bien expliqué, tous les soins d’une plume habile, à des imitations
qui quelquefois font beaucoup d’honneur aux originaux. Expositions publiqu sou
demi-publiques, expositions privées, ventes de tableaux, travaux décoratifs dans les
églises, dans les monuments : y a-t-il une circonstance, un incident qui ne soit mis
à profit, un lieu qu’on néglige, excepté peut-être un seul, le Musée du Louvre? —
Mais nous y reviendrons, car un oubli si grave doit avoir sa raison.
Quant à nous autres, messieurs ; quant à nous, public, n’ètes-vous pas d’avis qu’il
faudrait être bien exigeant pour nous demander au delà de ce que nous donnons? Si
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
A l’intérieur, la situation n’est pas moins bonne. Le public et les artistes senblent
d’accord sur bien des points. Si ceux-ci, je le répète, produisent immensément, le
public a des besoins insatiables, et le mécanisme de ce fait industriel est tel que nulle
part, sauf de courtes et temporaires exceptions, on n’aperçoit trop d’engorgement-
Grâce à cet impôt libéral, prélevé chaque année sur le budget de vos fantaisies, tous
vivent ou à peu près^ — et si cet à peu près, messieurs, cache ici comme ailleurs
bien des souffrances et de regrettables misères, devons-nous nous accuser d’un mal-
heur qui pourrait être une des lois mêmes de l’émulation, une des nécessités de la
vie? La plupart prospèrent!; quelques-uns at'eignent à la richesse; un certain nombre
devraient achever leur carrière dans l’opulence. Les moyens d’exposition abondent. Us
sont divers, de toute nature et devenus si réguliers, qu’il n’y a plus, pour ainsi dire,
d’interruption dans ce courant continuel d’affaires ou de sympathies, qui met en com-
munication les intelligences ou les intérêts. Partout où il y a quelque lacune, on y
supplée; ce que l’initiative du gouvernemmt no suffit pas à faire, d’autres l’achèvent.
Et comme dans cette répartition, si égale qu’elle soit, de faveurs, de publicité ou
d’honneurs, il se trouve toujours ou des imperfections, ou des oublis, ou des intérêts
froissés, ou des ambitions impatientes, comme rien n’est parfait dans ce monde : —
voyez, il se trouve aussi des spéculateurs ingénieux, disons mieux, des philanthropes
assez entreprenants pour rêver la perfection d’un système d’exhibitions déjà fort com-
plexe et pour le tenter. Appelons ces lieux de publicité des marchés, si nous parlons
affaires, — nommons-les des foyers d’influence ou des centres d’enseignement, si
nous changeons de point de vue; constatons dans tous les cas que bien peu de chose
manque encore aux modes de publicité dont les artistes disposent et que sous ce rap-
port leur situation doit faire envie aux gens de lettres et aux musiciens.
Considérez que les journaux sont ’a leur merci. Chaque exposition annuelle est une
solennité, une fête pour l’intelligence, comme on le répète, dont tous s’emparent,
depuis le plus petit jusqu’au plus grand, depuis le plus léger jusqu’au plus sérieux,
pour entretenir pendant six mois le monde entier de ce que la France a produit de
peinture dans l’année courante. Bien peu d’œuvres échappent à cette investigation
minutieuse de tout ce qui porte à peu près la marque du bien. Bien peu de noms sont
privés de cette douceur de passer de bouche en bouche et de s’éterniser. Renommée
éphémère, soit; mais de quoi se compose la vraie renommée, sinon d’un peu ou de
beaucoup de bruit qui se renouvelle et puis qui dure? — Les œuvres sont reproduites
avec profusion, et tous les procédés de l’industrie la plus moderne semblent avoir été
créés pour servir d’agents à cette circulation prodigieuse d’une œuvre unique, multi-
pliée presque à l’égale du livre. Cela ne suffit point encore, et pour que la reproduc-
tion soit, sinon plus complète, du moins plus piquante en adoptant jusqu’aux formes
littéraires, des écrivains de mérite, d’un grand talent, d’un art consommé, se font com-
plaisamment les copistes du dernier des peintres, et consacrent, dans un but que je
ne me suis jamais bien expliqué, tous les soins d’une plume habile, à des imitations
qui quelquefois font beaucoup d’honneur aux originaux. Expositions publiqu sou
demi-publiques, expositions privées, ventes de tableaux, travaux décoratifs dans les
églises, dans les monuments : y a-t-il une circonstance, un incident qui ne soit mis
à profit, un lieu qu’on néglige, excepté peut-être un seul, le Musée du Louvre? —
Mais nous y reviendrons, car un oubli si grave doit avoir sa raison.
Quant à nous autres, messieurs ; quant à nous, public, n’ètes-vous pas d’avis qu’il
faudrait être bien exigeant pour nous demander au delà de ce que nous donnons? Si