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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 6
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Bonnaffé, Edmond: Physiologie du curieux, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0513
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

s’appelle un amateur. Les autres sont des curieux de livres, d’estampes
et de médailles.

La recherche exclusive du beau détermine le caractère de l’amateur
et le distingue du collectionneur proprement dit; elle marque sa place
non loin de l’artiste. L’amateur et l’artiste sont la conséquence l’un de
l’autre : l’artiste dépend de l’amateur, c’est pour lui qu’il travaille de
son vivant, c’est sur lui qu’il compte après sa mort; l’amateur dépend
de l’artiste, sans lui quelle serait sa raison d’être? Mais l’artiste a toute
la supériorité du génie créateur; il est le père, le générateur du beau;
l’autre n’a qu’une paternité secondaire : il ne crée pas de chefs-d’œuvre,
il adopte ceux des autres.

L’éducation de l’amateur est lente, difficile. Le don naturel n'y suffit
pas; elle exige une pratique assidue, un entraînement particulier, quo-
tidien, une défiance sans limites, une élimination patiente, impitoyable.
A la longue, le goût s’épure, s’affine; l’œil devient plus pénétrant,
l’instinct plus subtil, le diagnostique plus sûr, plus délicat. Que d’années
encore, combien de faux pas, de chutes, de déceptions, avant d’acquérir
l’intuition nette, la clairvoyance du beau, avant d’être maître de soi!

Défiez-vous de l’amateur qui ne se trompe jamais; le plus fort est
celui qui se trompe le moins.

La Bruyère n’est pas tendre pour les curieux; de la part d’un con-
frère, le procédé n’a rien de surprenant. La Bruyère pratique une curio-
sité sui generis, pour laquelle il est plein d’indulgence; elle consiste à
collectionner les vieux mots, les anciens tours de notre langue, ceux qui
ont de la race, qui sont rares, bien faits et frappés au bon coin : c’est la
curiosité littéraire. L’autre, la curiosité artiste, n’est pas d’aussi bonne
maison, j’imagine, et La Bruyère la traite de la belle façon. « Ce n’est
pas un amusement, dit-il, mais une passion, et souvent si violente
quelle ne cède à l’amour et à l’ambition que par la petitesse de son
objet. » 11 la confond avec la manie des tulipes, des chenilles et des
canaris; il admet, à la rigueur, qu’elle soit un passe-temps, pas davan-
tage. 11 dirait volontiers, comme Cicéron au peuple romain : « Laissons
aux peuples tributaires le soin de conserver ces objets d’art, si frivoles
à nos yeux, afin qu’ils y trouvent une consolation, un amusement dans
leur esclavage. »

La Bruyère dit encore : « La curiosité est un goût pour ce qu’on a et
ce que les autres n’ont point, un attachement à ce qui est couru, à ce
qui est à la mode; ce n’est point une passion qu’on a généralement
pour les choses rares et qui ont cours, mais qu’on a seulement pour une
certaine chose qui est rare et pourtant à la mode. » N’en déplaise au
 
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