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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
munies de filtres fins, et que fermaient deux bouchons fixés à de petites
chaînettes, servaient à l’écoulement du liquide que le vase était destiné à
contenir : du vin sans doute, dont les Scythes étaient grands buveurs, car
l'amphore, n’ayant pas de couvercle, ne pouvait être employée à contenir
un breuvage fermenté et mousseux comme le koumis ou lait de jument.
Ces deux ouvertures sont ornées, à l’imitation des gargouilles des temples,
de deux têtes de lion, et chose singulière, le modelé de ces têtes, leur
crinière à poils courts et régulièrements rejetés en arrière, nous reportent
à un siècle plus haut que le reste de l’ornementation du vase : elles rap-
pellent beaucoup plus les têtes de lions du Parthénon que celles du temple
de Priène ou du mausolée d’ïïalicarnasse : nous sommes en présence d’un
vieux modèle, devenu classique et banal, qui a continué à être en usage
dans les ateliers d’orfèvres longtemps après que de nouvelles formes
avaient prévalu dans l’architecture. Un peu plus haut, et juste dans la
ligne médiane de la face antérieure de l’amphore, est une troisième ouver-
ture, décorée d’une tête de cheval ailé : l’animal, les oreilles dressées, l’œil
effaré, les joues maigres, les naseaux dilatés et la bouche ouverte pour
hennir, n’a rien du cheval grec tel que nous le montrent la frise du Par-
thénon et le tombeau de Mausole : c’est le cheval sauvage de la steppe,
inquiet et frémissant au moindre bruit. Les grandes ailes éployées dont la
fantaisie de l’artiste l’a muni dérobent heureusement au regard la jonc-
tion, forcément disgracieuse, de cette applique à la surface de la panse,
et achèvent de lui donner un caractère étrange et saisissant. Le haut de la
panse, au bas de la naissance du con, est décoré de chaque côté d’un
groupe de deux griffons dévorant un axis, les uns repoussés, les autres
simplement gravés : le dessin manque un peu d’ampleur, mais est habile
et élégant. Mais la partie la plus originale de cette ornementation, c’est la
frise de figures en haut relief, fondues à part, retouchées au burin et
soudées, qui court au point où la surface de la panse se recourbe pour
gagner le cou, et repose sur le bandeau en saillie par lequel est dissimulée
la rivure des deux moitiés du vase. Le sujet de cette frise est emprunté à
ce qui, dans les mœurs des Scythes, frappait le plus la curiosité des Grecs :
le domptage et l’éducation du cheval. Au centre est une jinneut que trois
hommes s’efforcent de renverser à terre en tirant sur des cordes atta-
chées au bas de ses jambes (les fils d’argent qui figuraient ces cordes
sont brisés). On sait que c’est là une manière encore en usage de terrifier
l’animal et de mater sa résistance. A droite de ce groupe un homme de-
bout tenait entre ses mains un objet aujourd’hui manquant et qui semble
l’occuper beaucoup. Les uns ont conjecturé qu’il se pansait la main,
d’autres qu’il s’apprêtait à recueillir dans une coupe Yhippomanès,
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munies de filtres fins, et que fermaient deux bouchons fixés à de petites
chaînettes, servaient à l’écoulement du liquide que le vase était destiné à
contenir : du vin sans doute, dont les Scythes étaient grands buveurs, car
l'amphore, n’ayant pas de couvercle, ne pouvait être employée à contenir
un breuvage fermenté et mousseux comme le koumis ou lait de jument.
Ces deux ouvertures sont ornées, à l’imitation des gargouilles des temples,
de deux têtes de lion, et chose singulière, le modelé de ces têtes, leur
crinière à poils courts et régulièrements rejetés en arrière, nous reportent
à un siècle plus haut que le reste de l’ornementation du vase : elles rap-
pellent beaucoup plus les têtes de lions du Parthénon que celles du temple
de Priène ou du mausolée d’ïïalicarnasse : nous sommes en présence d’un
vieux modèle, devenu classique et banal, qui a continué à être en usage
dans les ateliers d’orfèvres longtemps après que de nouvelles formes
avaient prévalu dans l’architecture. Un peu plus haut, et juste dans la
ligne médiane de la face antérieure de l’amphore, est une troisième ouver-
ture, décorée d’une tête de cheval ailé : l’animal, les oreilles dressées, l’œil
effaré, les joues maigres, les naseaux dilatés et la bouche ouverte pour
hennir, n’a rien du cheval grec tel que nous le montrent la frise du Par-
thénon et le tombeau de Mausole : c’est le cheval sauvage de la steppe,
inquiet et frémissant au moindre bruit. Les grandes ailes éployées dont la
fantaisie de l’artiste l’a muni dérobent heureusement au regard la jonc-
tion, forcément disgracieuse, de cette applique à la surface de la panse,
et achèvent de lui donner un caractère étrange et saisissant. Le haut de la
panse, au bas de la naissance du con, est décoré de chaque côté d’un
groupe de deux griffons dévorant un axis, les uns repoussés, les autres
simplement gravés : le dessin manque un peu d’ampleur, mais est habile
et élégant. Mais la partie la plus originale de cette ornementation, c’est la
frise de figures en haut relief, fondues à part, retouchées au burin et
soudées, qui court au point où la surface de la panse se recourbe pour
gagner le cou, et repose sur le bandeau en saillie par lequel est dissimulée
la rivure des deux moitiés du vase. Le sujet de cette frise est emprunté à
ce qui, dans les mœurs des Scythes, frappait le plus la curiosité des Grecs :
le domptage et l’éducation du cheval. Au centre est une jinneut que trois
hommes s’efforcent de renverser à terre en tirant sur des cordes atta-
chées au bas de ses jambes (les fils d’argent qui figuraient ces cordes
sont brisés). On sait que c’est là une manière encore en usage de terrifier
l’animal et de mater sa résistance. A droite de ce groupe un homme de-
bout tenait entre ses mains un objet aujourd’hui manquant et qui semble
l’occuper beaucoup. Les uns ont conjecturé qu’il se pansait la main,
d’autres qu’il s’apprêtait à recueillir dans une coupe Yhippomanès,