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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Il semble, par contre, que la lithographie, longtemps discréditée,
tende à revivre. La planche de M. Manron : XEntrée des Croisés à Con-
stantinople n’est certes pas indigne de la merveilleuse toile de Delacroix ;
les deux portraits de M. Ribot, une tête d’homme et une tête de femme
d’une construction magistrale, ont été crayonnés sur la pierre par
M. Vergnes avec un certain entrain ; M. Lunois a vivement rendu de
belles études au fusain d’Ulysse Butin et M. Fantin-Latour, qui a toujours
une place à part quoi qu’il fasse, continue la romantique et curieuse suite
d’évocations qu’il a commencée de longue date des héros de Wagner, de
Berlioz et de Schumann. Nul doute, en fin de compte, que la lithographie
n’offre de bien autres ressources que la gravure sur bois. Elle n’exige
point d’intermédiaire ; elle est à la portée des peintres : elle se marque de
toutes les personnalités. En un mot, on aurait plaisir à la voir sérieuse-
ment renaître et prospérer.
Mais il s’agit maintenant de conclure.
XXI.
Après deux mois entiers d’un travail qui n’a pas été sans joie, je par-
viens à mon terme : j’ai esquissé de mon mieux l’état actuel de la pein-
ture en France; j’ai indiqué aussi clairement qu’il a été en moi les rap-
ports de notre art avec nos mœurs ; j’ai fait à chaque artiste sa part
d’initiateur, d’homme de transition ou de virtuose ; j’ai loué honnête-
ment, j’ai critiqué loyalement ; j’en reviens, en terminant, à cette maxime
essentielle : « Un seul idéal mérite qu’on le poursuive : la parfaite subor-
dination de l’art à la vie ».
Mais qu’est-ce donc, me demandent quelques-uns, que cette subor-
dination parfaite ? Pour la sculpture, à la rigueur, cela se peut expliquer,
mais non pour la peinture. Un peintre, en effet, s’enquiert davantage de
la densité de l’atmosphère, de la vibration des couleurs, et l’autre s’in-
quiète des formes précises. Celui-ci peint le détail avec minutie; celui-
là s’attache à rendre largement l’ensemble. Lequel a raison ? Lequel a
tort? Il est aisé de répondre. Tout artiste est dirigé intérieurement par
ce faisceau de facultés actives, plus ou moins perfectionnées, qu’on
nomme le tempérament. Ses yeux dévisagent la nature d’une certaine
façon et son esprit la comprend selon sa puissance. Aussi longtemps qu’il
obéira, humblement et sincèrement, à sa vue et à son intelligence, il sera
dans le vrai ; mais il entrera dans le faux le jour où il se rangera aux
pratiques d’autrui. On ne compte, en art, qu’à la condition de s’être fait
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Il semble, par contre, que la lithographie, longtemps discréditée,
tende à revivre. La planche de M. Manron : XEntrée des Croisés à Con-
stantinople n’est certes pas indigne de la merveilleuse toile de Delacroix ;
les deux portraits de M. Ribot, une tête d’homme et une tête de femme
d’une construction magistrale, ont été crayonnés sur la pierre par
M. Vergnes avec un certain entrain ; M. Lunois a vivement rendu de
belles études au fusain d’Ulysse Butin et M. Fantin-Latour, qui a toujours
une place à part quoi qu’il fasse, continue la romantique et curieuse suite
d’évocations qu’il a commencée de longue date des héros de Wagner, de
Berlioz et de Schumann. Nul doute, en fin de compte, que la lithographie
n’offre de bien autres ressources que la gravure sur bois. Elle n’exige
point d’intermédiaire ; elle est à la portée des peintres : elle se marque de
toutes les personnalités. En un mot, on aurait plaisir à la voir sérieuse-
ment renaître et prospérer.
Mais il s’agit maintenant de conclure.
XXI.
Après deux mois entiers d’un travail qui n’a pas été sans joie, je par-
viens à mon terme : j’ai esquissé de mon mieux l’état actuel de la pein-
ture en France; j’ai indiqué aussi clairement qu’il a été en moi les rap-
ports de notre art avec nos mœurs ; j’ai fait à chaque artiste sa part
d’initiateur, d’homme de transition ou de virtuose ; j’ai loué honnête-
ment, j’ai critiqué loyalement ; j’en reviens, en terminant, à cette maxime
essentielle : « Un seul idéal mérite qu’on le poursuive : la parfaite subor-
dination de l’art à la vie ».
Mais qu’est-ce donc, me demandent quelques-uns, que cette subor-
dination parfaite ? Pour la sculpture, à la rigueur, cela se peut expliquer,
mais non pour la peinture. Un peintre, en effet, s’enquiert davantage de
la densité de l’atmosphère, de la vibration des couleurs, et l’autre s’in-
quiète des formes précises. Celui-ci peint le détail avec minutie; celui-
là s’attache à rendre largement l’ensemble. Lequel a raison ? Lequel a
tort? Il est aisé de répondre. Tout artiste est dirigé intérieurement par
ce faisceau de facultés actives, plus ou moins perfectionnées, qu’on
nomme le tempérament. Ses yeux dévisagent la nature d’une certaine
façon et son esprit la comprend selon sa puissance. Aussi longtemps qu’il
obéira, humblement et sincèrement, à sa vue et à son intelligence, il sera
dans le vrai ; mais il entrera dans le faux le jour où il se rangera aux
pratiques d’autrui. On ne compte, en art, qu’à la condition de s’être fait