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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 30.1884

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Nr. 6
DOI article:
Sédille, Paul: L' architecture moderne à Vienne, 3
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Michel, André: À propos d'une collection particulière exposée dans la galerie de M. Georges Petit
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https://doi.org/10.11588/diglit.24584#0540
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502

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

émotion. Leur tâche a été dure : on sait co qu’ils ont du soutenir de
luttes et de déboires. Il leur a fallu expulser, de buisson en buisson, les
troupeaux grelottants des nymphes classiques, auxquelles l’Institut de
1830 servait une pension de retraite au fond des bois sacrés ; démolir
pierre à pierre les ruines des temples déserts et les colonnades corin-
thiennes faites du résistant ciment académique, lutter enfin contre
un public, qui pourtant avait lu Jean-Jacques et Sénancour, pour l’habi-
tuer à tolérer dans leurs œuvres les forêts, les vallons, les ruisseaux du
pays natal!

La tristesse de ces luttes et l’amertume de ces déboires se lisent sou-
vent dans leurs œuvres. On sent qu’ils ont des consolations à demander
à la nature ; et quelquefois aussi — ceci n’est pas une critique — des
conseils aux maîtres hollandais. Seul, le père Corot conserve au milieu
d’eux une physionomie souriante. Il semble n’avoir confié à la nature que
des pensées joyeuses et n’en avoir reçu que de tendres confidences : la
manière dont il nous les redit n’est celle d’aucun autre ; elle est
créée de toutes pièces, originale, spontanée et française ; on dirait « pa-
risienne », si l’on ne craignait d’en diminuer le caractère et la portée.
Comment se l’est-il faite ? on se promet de le rechercher, quand on va
vers un de ses tableaux, et on oublie son enquête dès qu’on y « est en-
tré » , comme il disait. Le charme opère et vous enveloppe ; on se sent
tout à coup dans l’âme des légèretés d’oiseau, un apaisement divin se
fait dans le cœur ; on salue, comme des visions amies et attendues, les
formes, ailleurs abhorrées, de nymphes et de dryades que le maî-
tre se plait à évoquer, sur les gazons pâlis, dans les brouillards argen-
tés de ses bois. Il invente une mythologie, si familière, si personnelle,
peut-on dire, qu’on ne songe plus à lui reprocher les crimes commis,
par d’autres, en son nom !

Il y a deux tableaux de lui dans la collection de Mme Cassin : une
Solitude, d’une mélancolie sereine : entre deux massifs de verdure, un
lac offre au ciel, où le jour va mourir dans des transparences légères et
des reflets doucement rosés, son tranquille miroir : au pied d’un arbre,
que l’air enveloppe sans l’agiter, une femme est assise. A côté de ce beau
paysage, qui est de la manière la plus grave du père Corot et tout
pénétré de rêverie silencieuse, Un lac, effet du matin, nous apparaît
comme un incomparable chef-d’œuvre. C’est un coin de Ville-d’Avrav ; au
premier plan, des bouleaux, puis un peu d’eau, et, sur l’autre rive, un
coteau à demi noyé dans les brouillards, où des maisons blanches dor-
ment encore dans la verdure. Rien ne peut rendre la profondeur de
l’horizon, la légèreté de l’air mouvant, les douces sonorités voilées qui
 
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