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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’aller étudier l’art italien en Italie même, se soient arrêtés à Avignon,
où tant d’artistes de nationalités différentes travaillèrent longtemps
ensemble; que maître Wilhem ait été à la source même, peu importe.
Une influence italienne s’exerça sur l’art du Nord dans la seconde
moitié du xive siècle, contre laquelle réagit le sentiment flamand
au xve ; comme cette même influence s’exerça au xvie siècle et d’une
façon plus durable.
Tous ces peintres au service des princes avaient d’ailleurs de
fréquents contacts, et un compte de dépense que publie M. l’abbé
Dehaisnes nous montre Philippe le Hardi envoyant en 1393 son pein-
tre en titre, Jehan de Beaumetz, et son sculpteur, Claux Sluter,
visiter les travaux que son frère Jean, duc de Berry, faisait exé-
cuter au château de Mehun-sur-Yèvre, par André Beauneveu, à ce
que nous apprend Froissart.
Dans la sculpture, l’influence italienne nous semble moins appa-
rente, bien que beaucoup d’artistes de cette époque maniassent en
même temps le pinceau et le ciseau, ainsi que faisait A. Beauneveu.
Et celui-là précisément, comme on peut le voir dans les reproduc-
tions des effigies tumulaires de Philippe YI et de Charles Y qui
accompagnent un article de notre ami Louis Courajod « Une statue de
Philippe VI au Louvre » (Gazette des Beaux-Arts, 2° série, t. XXXI,
p. 224 et 225), n’est encore, en 1364, à proprement parler, qu’un con-
tinuateur delà tradition du xme siècle, s’il se montre personnel dans
les têtes. Celles-ci sont profondément empreintes de réalisme, ainsi
qu’on dit aujourd’hui. Et c’est par ce sentiment de la nature que l’art
flamand se révèle surtout à mesure qu’il s’avance vers le xve siècle.
Cela est bien évident dans l’œuvre de Claux Sluter. Et cependant il y
a deux parts à faire dans le Puits de Moïse. Quelques-uns des prophètes
sont de bons bourgeois trapus, qui portent le costume des scribes
flamands ou bourguignons contemporains. D’autres n’ont que la
tète... du temps, comme disent les marchands de curiosités : mais
leur corps disparaît sous un flot de draperies qui trouvent leurs
analogues dans la peinture contemporaine.
Même dualisme dans les groupes du portail de la chapelle de la
Chartreuse de Dijon où Claux Sluter a représenté Philippe le Hardi
et la duchesse Marguerite agenouillés aux pieds de saint Antoine et
de sainte Anne.
Et si nous examinons l’œuvre d’un autre artiste, de Jacques de
Baers qui exécuta, en 1392, les deux retables du Musée de Dijon, dont
Melchior Broederlam revêtit d’or les figures, en même temps qu’il en
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’aller étudier l’art italien en Italie même, se soient arrêtés à Avignon,
où tant d’artistes de nationalités différentes travaillèrent longtemps
ensemble; que maître Wilhem ait été à la source même, peu importe.
Une influence italienne s’exerça sur l’art du Nord dans la seconde
moitié du xive siècle, contre laquelle réagit le sentiment flamand
au xve ; comme cette même influence s’exerça au xvie siècle et d’une
façon plus durable.
Tous ces peintres au service des princes avaient d’ailleurs de
fréquents contacts, et un compte de dépense que publie M. l’abbé
Dehaisnes nous montre Philippe le Hardi envoyant en 1393 son pein-
tre en titre, Jehan de Beaumetz, et son sculpteur, Claux Sluter,
visiter les travaux que son frère Jean, duc de Berry, faisait exé-
cuter au château de Mehun-sur-Yèvre, par André Beauneveu, à ce
que nous apprend Froissart.
Dans la sculpture, l’influence italienne nous semble moins appa-
rente, bien que beaucoup d’artistes de cette époque maniassent en
même temps le pinceau et le ciseau, ainsi que faisait A. Beauneveu.
Et celui-là précisément, comme on peut le voir dans les reproduc-
tions des effigies tumulaires de Philippe YI et de Charles Y qui
accompagnent un article de notre ami Louis Courajod « Une statue de
Philippe VI au Louvre » (Gazette des Beaux-Arts, 2° série, t. XXXI,
p. 224 et 225), n’est encore, en 1364, à proprement parler, qu’un con-
tinuateur delà tradition du xme siècle, s’il se montre personnel dans
les têtes. Celles-ci sont profondément empreintes de réalisme, ainsi
qu’on dit aujourd’hui. Et c’est par ce sentiment de la nature que l’art
flamand se révèle surtout à mesure qu’il s’avance vers le xve siècle.
Cela est bien évident dans l’œuvre de Claux Sluter. Et cependant il y
a deux parts à faire dans le Puits de Moïse. Quelques-uns des prophètes
sont de bons bourgeois trapus, qui portent le costume des scribes
flamands ou bourguignons contemporains. D’autres n’ont que la
tète... du temps, comme disent les marchands de curiosités : mais
leur corps disparaît sous un flot de draperies qui trouvent leurs
analogues dans la peinture contemporaine.
Même dualisme dans les groupes du portail de la chapelle de la
Chartreuse de Dijon où Claux Sluter a représenté Philippe le Hardi
et la duchesse Marguerite agenouillés aux pieds de saint Antoine et
de sainte Anne.
Et si nous examinons l’œuvre d’un autre artiste, de Jacques de
Baers qui exécuta, en 1392, les deux retables du Musée de Dijon, dont
Melchior Broederlam revêtit d’or les figures, en même temps qu’il en