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G A Z ETT E DES DE A U X-A11T S.
sation, des idées nouvelles, de l’esprit en tout, pour tout, partout.
Faut-il qu’il ait, ce pastel, le je ne sais quoi dont parlait Montesquieu,
pour frapper à première vue les connaisseurs et la foule ! Ecoutez
cette page des souvenirs d’Amaury Duval : «Sans l’aimable insistance
que l’on mit à nous retenir, nous n’aurions certainement fait que
passer à Genève... cependant je dois constater une émotion d’art très
vive que j’ai ressentie au musée de cette ville, devant le portrait do
Mme d’Epinay, par Liotard, et je dois ajouter qu’un jour à Paris,
ayant amené devant M. Ingres la conversation sur ce portrait, j’eus
le plaisir de 1 entendre formuler, en termes presque identiques à ceux
que j’avais employés, son admiration pour cet ouvrage. C’était aussi
à son retour de Rome qu’il l’avait vu. —- Je ne sais, dit-ill, s’il y a
un plus beau portrait que celui-là en Italie. »
Pourquoi, me direz-vous, attribuer ce chef-d’œuvre, on peut bien
l’appeler ainsi, à l’année 1770 ou 1771? Parce que Mme d’Epinay, en
ce temps-là, avait l’àge de 44 ou 45 ans que lui donne le portrait du
Musée de Genève; parce qu’elle tient à demi-ouvert un livre, dont le
titre paraît bien être Dialogues. Or les Dialogues sur le commerce des blés,
de l’abbé Galiani, virent le jour en 1770 et firent « du bruit à Paris ».
Rien de plus naturel par conséquent que Mme d’Epinay se soit fait
représenter avec l'ouvrage qu’elle avait contribué à revoir et à corri-
ger, en l'absence de l’auteur, son ami intime. Telles sont les raisons
(Liotard d’ailleurs étant à Paris) qui plaident en faveur de nos dates. Si
l’on voulait faire la contre-épreuve, elle serait suffisamment convain-
cante : Quand Mme d’Epinay, vers la fin de 1757. arriva à Genève pour
y être traitée pas le docteur Troncliin, elle était plus jeune que son
portrait, car elle venait seulement de dépasser la trentaine ; sa phy-
sionomie se ressentait ensuite de l’altération de sa santé ; en outre
elle avait des soucis d’argent, et des soucis de cœur. Et ces dernières
circonstances réunies, aurait-elle choisi le moment le moins favorable
à ses avantages extérieurs, elle « femme jusqu’au bout des ongles 2»,
pour affronter les crayons du virluosissime ?
Par quel hasard maintenant le portrait de Mrae d’Epinay, peint à
Paris, se trouve-t-il au Musée de Genève? Grâce à la libéralité d’un
membre de la famille Troncliin, qui l’avait hérité ou le tenait sans
doute du grand médecin. Il ne faut pas oublier que Troncliin était
fixé à Paris depuis 1766, et que Mme d’Epinay, reconnaissante des
1. Amaury Duval, L’Atelier d'Ingres, Souvenirs. Paris, 1878.
2. Lucien Perey et Gaston Maugras, La Jeunesse de Mme d’Epinay, 1882.
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sation, des idées nouvelles, de l’esprit en tout, pour tout, partout.
Faut-il qu’il ait, ce pastel, le je ne sais quoi dont parlait Montesquieu,
pour frapper à première vue les connaisseurs et la foule ! Ecoutez
cette page des souvenirs d’Amaury Duval : «Sans l’aimable insistance
que l’on mit à nous retenir, nous n’aurions certainement fait que
passer à Genève... cependant je dois constater une émotion d’art très
vive que j’ai ressentie au musée de cette ville, devant le portrait do
Mme d’Epinay, par Liotard, et je dois ajouter qu’un jour à Paris,
ayant amené devant M. Ingres la conversation sur ce portrait, j’eus
le plaisir de 1 entendre formuler, en termes presque identiques à ceux
que j’avais employés, son admiration pour cet ouvrage. C’était aussi
à son retour de Rome qu’il l’avait vu. —- Je ne sais, dit-ill, s’il y a
un plus beau portrait que celui-là en Italie. »
Pourquoi, me direz-vous, attribuer ce chef-d’œuvre, on peut bien
l’appeler ainsi, à l’année 1770 ou 1771? Parce que Mme d’Epinay, en
ce temps-là, avait l’àge de 44 ou 45 ans que lui donne le portrait du
Musée de Genève; parce qu’elle tient à demi-ouvert un livre, dont le
titre paraît bien être Dialogues. Or les Dialogues sur le commerce des blés,
de l’abbé Galiani, virent le jour en 1770 et firent « du bruit à Paris ».
Rien de plus naturel par conséquent que Mme d’Epinay se soit fait
représenter avec l'ouvrage qu’elle avait contribué à revoir et à corri-
ger, en l'absence de l’auteur, son ami intime. Telles sont les raisons
(Liotard d’ailleurs étant à Paris) qui plaident en faveur de nos dates. Si
l’on voulait faire la contre-épreuve, elle serait suffisamment convain-
cante : Quand Mme d’Epinay, vers la fin de 1757. arriva à Genève pour
y être traitée pas le docteur Troncliin, elle était plus jeune que son
portrait, car elle venait seulement de dépasser la trentaine ; sa phy-
sionomie se ressentait ensuite de l’altération de sa santé ; en outre
elle avait des soucis d’argent, et des soucis de cœur. Et ces dernières
circonstances réunies, aurait-elle choisi le moment le moins favorable
à ses avantages extérieurs, elle « femme jusqu’au bout des ongles 2»,
pour affronter les crayons du virluosissime ?
Par quel hasard maintenant le portrait de Mrae d’Epinay, peint à
Paris, se trouve-t-il au Musée de Genève? Grâce à la libéralité d’un
membre de la famille Troncliin, qui l’avait hérité ou le tenait sans
doute du grand médecin. Il ne faut pas oublier que Troncliin était
fixé à Paris depuis 1766, et que Mme d’Epinay, reconnaissante des
1. Amaury Duval, L’Atelier d'Ingres, Souvenirs. Paris, 1878.
2. Lucien Perey et Gaston Maugras, La Jeunesse de Mme d’Epinay, 1882.