BA11YE.
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Barye, m’a-t-on dit, aimait Barbizon. Il y avait ses calmes
promenades dans la forêt, promenades solitaires où il se reposait de
la dure vie de Paris et où il rencontrait ces modèles élégants dont il
saisissait les mouvements imprévus, les moindres expressions fugi-
tives. Mais les timides, les humbles n’étaient pour lui qu’un délas-
sement, qu’un passe-temps, et ce n’est pas en les traduisant qu’éclate
toute l'intensité de son génie. Ce qu’il lui faut, à ce grand passionné,
ce sont les combats des grands fauves, des grands carnivores; ce
qu’il lui faut, ce sont les jungles empestées, les bois de mimosas
JAGUAR DÉVORANT UN LIÈVRE, 1>AR BARYE.
(Bronze de la collection de M. Bonnat.)
épineux où il tombe en arrêt devant le lion aux larges flancs, robe
fauve illuminée par deux tisons ardents. Ce qu’il lui faut, c’est le
spectacle des éléphants écrasant les tigres, des boas gigantesques
s’élançant avec la rapidité de l’éclair sur l’antilope qui passe et
l’étouffant de ses puissants anneaux. Ce qu'il lui faut, c’est la lionne
sur le rocher, humant l’espace, les muscles puissants ramassés sous
elle, prête à bondir sur le canna qui court, ou les grands éléphants,
races antédiluviennes, traversant sous un soleil de feu les plaines
et les monts, brisant tout sur leur lourd passage. Voilà, voilà le
paradis de Barye. Voilà le monde où son imagination aime à vivre,
voilà son vrai royaume, son royaume incontestable et incontesté. Et
personne avant lui n’a su en prendre le sceptre. Personne avant lui
n’a su rendre la force inconsciente du lion aux puissantes épaules,
la souplesse et la froide cruauté du tigre ou du jaguar.
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Barye, m’a-t-on dit, aimait Barbizon. Il y avait ses calmes
promenades dans la forêt, promenades solitaires où il se reposait de
la dure vie de Paris et où il rencontrait ces modèles élégants dont il
saisissait les mouvements imprévus, les moindres expressions fugi-
tives. Mais les timides, les humbles n’étaient pour lui qu’un délas-
sement, qu’un passe-temps, et ce n’est pas en les traduisant qu’éclate
toute l'intensité de son génie. Ce qu’il lui faut, à ce grand passionné,
ce sont les combats des grands fauves, des grands carnivores; ce
qu’il lui faut, ce sont les jungles empestées, les bois de mimosas
JAGUAR DÉVORANT UN LIÈVRE, 1>AR BARYE.
(Bronze de la collection de M. Bonnat.)
épineux où il tombe en arrêt devant le lion aux larges flancs, robe
fauve illuminée par deux tisons ardents. Ce qu’il lui faut, c’est le
spectacle des éléphants écrasant les tigres, des boas gigantesques
s’élançant avec la rapidité de l’éclair sur l’antilope qui passe et
l’étouffant de ses puissants anneaux. Ce qu'il lui faut, c’est la lionne
sur le rocher, humant l’espace, les muscles puissants ramassés sous
elle, prête à bondir sur le canna qui court, ou les grands éléphants,
races antédiluviennes, traversant sous un soleil de feu les plaines
et les monts, brisant tout sur leur lourd passage. Voilà, voilà le
paradis de Barye. Voilà le monde où son imagination aime à vivre,
voilà son vrai royaume, son royaume incontestable et incontesté. Et
personne avant lui n’a su en prendre le sceptre. Personne avant lui
n’a su rendre la force inconsciente du lion aux puissantes épaules,
la souplesse et la froide cruauté du tigre ou du jaguar.