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GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
parole; mais il est plein d’esprit et il a quelquefois mis en œuvre
des colorations grises ou des verdures qui sont les plus douces du
monde.
Cet art charmant devait périr. Il s’était formé dans l’atelier de
Vien, peintre ennuyeux, un élève, Louis David, qui allait devenir un
peintre redoutable. Ce mot doit être expliqué. Au moment où s’ouvre
la Révolution,David n’est plus un jeune homme : il a quarante et un
ans, et, déjà, il a montré par des œuvres décisives comment il entend
la réforme que Vien a timidement préparée et au nom de quel prin-
cipe il a rêvé de l’accomplir. En 1775, il avait accompagné son
maître, nommé directeur de l’Académie de Rome : c’est alors que,
prenant en mépris l’art de ses contemporains, il résolut de créer un
style nouveau, construit avec les vestiges de l’antique qu’il n’a jamais
bien connu, mais qu’il a aimé avec passion. Quand il revint à Paris,
il était devenu Romain; il se déclarait converti au culte du bas-relief
latin, car il avait de préférence étudié les œuvres sculpturales qui,
pour la plupart, n’étaient pas de la grande époque. En 1785, il
exposa le Serment des Horaces. L’affirmation d’un idéal bien fait pour
effaroucher les amours et les colombes est déjà terriblement précisée.
Au printemps de 1789, pendant que l’Assemblée se réunit à Ver-
sailles, David prépare son tableau Brutus recevant les corps de ses fils;
c’était une manifestation plus éloquente encore et l’œuvre fut, en effet,
l’événement capital du Salon qui devait s’ouvrir quelques mois après.
Dans le Serment des Horaces, dans le Brutus, David brûlait ce qu’il
avait adoré, il avouait hautement qu’il s’était trompé, quand, au
temps de sa jeunesse, il avait cru à la palette fleurie des derniers
représentants du xvme siècle et s’était compromis au point de ter-
miner dans la note tendre le plafond que Fragonard laissait inachevé
dans le petit hôtel de Mlle Guimard. Il disait avec une fermeté un peu
tranchante que l’heure était passée des amours roses voltigeant dans
l’azur et que les frivolités du caprice devaient céder la place à un
art plus viril.
La France crut, un peu légèrement et sans y regarder de trop
près, que David était le réformateur attendu et que l’esprit des temps
nouveaux était en lui. Elle se trompait. A ces foules que 1789 dotait
d’une âme élargie et qui rêvaient un idéal inédit pour exprimer les
espérances et les passions de la vie moderne, David n’offrait qu’une
formule empruntée au passé, des sentiments d’un autre âge et un
décor purement rétrospectif, alors que la Révolution était si neuve et
si vivante. Comment a-t-on pu croire, avec le peintre de Brutus, que
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parole; mais il est plein d’esprit et il a quelquefois mis en œuvre
des colorations grises ou des verdures qui sont les plus douces du
monde.
Cet art charmant devait périr. Il s’était formé dans l’atelier de
Vien, peintre ennuyeux, un élève, Louis David, qui allait devenir un
peintre redoutable. Ce mot doit être expliqué. Au moment où s’ouvre
la Révolution,David n’est plus un jeune homme : il a quarante et un
ans, et, déjà, il a montré par des œuvres décisives comment il entend
la réforme que Vien a timidement préparée et au nom de quel prin-
cipe il a rêvé de l’accomplir. En 1775, il avait accompagné son
maître, nommé directeur de l’Académie de Rome : c’est alors que,
prenant en mépris l’art de ses contemporains, il résolut de créer un
style nouveau, construit avec les vestiges de l’antique qu’il n’a jamais
bien connu, mais qu’il a aimé avec passion. Quand il revint à Paris,
il était devenu Romain; il se déclarait converti au culte du bas-relief
latin, car il avait de préférence étudié les œuvres sculpturales qui,
pour la plupart, n’étaient pas de la grande époque. En 1785, il
exposa le Serment des Horaces. L’affirmation d’un idéal bien fait pour
effaroucher les amours et les colombes est déjà terriblement précisée.
Au printemps de 1789, pendant que l’Assemblée se réunit à Ver-
sailles, David prépare son tableau Brutus recevant les corps de ses fils;
c’était une manifestation plus éloquente encore et l’œuvre fut, en effet,
l’événement capital du Salon qui devait s’ouvrir quelques mois après.
Dans le Serment des Horaces, dans le Brutus, David brûlait ce qu’il
avait adoré, il avouait hautement qu’il s’était trompé, quand, au
temps de sa jeunesse, il avait cru à la palette fleurie des derniers
représentants du xvme siècle et s’était compromis au point de ter-
miner dans la note tendre le plafond que Fragonard laissait inachevé
dans le petit hôtel de Mlle Guimard. Il disait avec une fermeté un peu
tranchante que l’heure était passée des amours roses voltigeant dans
l’azur et que les frivolités du caprice devaient céder la place à un
art plus viril.
La France crut, un peu légèrement et sans y regarder de trop
près, que David était le réformateur attendu et que l’esprit des temps
nouveaux était en lui. Elle se trompait. A ces foules que 1789 dotait
d’une âme élargie et qui rêvaient un idéal inédit pour exprimer les
espérances et les passions de la vie moderne, David n’offrait qu’une
formule empruntée au passé, des sentiments d’un autre âge et un
décor purement rétrospectif, alors que la Révolution était si neuve et
si vivante. Comment a-t-on pu croire, avec le peintre de Brutus, que