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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sur des entablements croulés devant les ruines d’un temple antique;
la composition en est intéressante, et il y a usé de la touche la plus
fine et la plus franche de son meilleur pinceau de petit Hollandais.
Certes, de tels crocs-en-jambes à la chronologie méritent certaine
indulgence dans l’intérêt de notre propre plaisir; si tous ces Frago,
et ces Hubert-Robert, et ces Greuze, et ces Boissieu, naissent vers
1733, c’est, après tout, pour mourir de vieillesse entre 1806 et 1808 ;
et je serais le premier, à regretter pour ma part, de n’avoir point
fait connaissance avec un très agréable dessin signé El. Moitié, c’est-
à-dire l’œuvre d’un honnête graveur, qui fut père du sculpteur
renommé, d’un autre graveur et d’un architecte, et mourut lui-même
en 1780, neuf ans avant l’ère de rigueur. Ce dessin semble le portrait
d’une élégante et coquette jeune femme assise, dont le costume rap-
pelle ceux des jolies mondaines de Trinquesse, avec tout autant de
légèreté dans le crayonnement de la robe, et plus de vérité dans le
pastel habile de la petite tête bien posée et qui supporte tranquil-
lement le regard. J’avoue que ce Moitte authentique m’intéresse
davantage que ne le feraient des Greuze et des Prud’hon douteux.
Puisque logiquement, par la date de son dessin, et surtout par sa
paternité de David, Tien marche le premier dans la vraie Exposition
de notre centenaire, disons que la composition signée de lui offre un
intérêt historique très singulier; le sujet en est fort inattendu pour
un premier peintre de Louis XYI, très honnête homme, très modéré
d’humeur, très attaché à son roi, et qui, par suite, devait être fort
suspect aux terribles puissants de 93. De là, justement, l’occasion
de ce dessin. David ayant appris que son maître allait être arrêté,
c’est-à-dire traduit devant le tribunal révolutionnaire, courut chez
lui et le supplia, pour échapper à l’inévitable guillotine, de témoigner
par une œuvre quelconque qu’il n'était point l’ennemi de la Révo-
lution. Le vieillard céda et composa ce dessin, qui représente le
triomphe même de cette Révolution. Son char est traîné par Hercule
et par Mars; de ses mains elle tient l’olivier et la corne d’abondance.
La Justice et l’Egalité se tiennent debout derrière elle; elle vient de
passer sous l’arc de la Constitution de 1793. Les populations s’em-
pressent au-devant du char. Cette feuille de civisme à la main, où
le vieux peintre n’avait écrit après tout qu'une allégorie banale, à
laquelle ne manquent, cela va sans dire, ni les guerriers blessés, ni
les laboureurs, ni les mères fécondes, ni l’aigle à deux têtes écrasée
par les roues, — David sauva son maître et ne le déshonora pas. —
Et, bien que la plume avec son lavis d’encre soit passablement trem-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sur des entablements croulés devant les ruines d’un temple antique;
la composition en est intéressante, et il y a usé de la touche la plus
fine et la plus franche de son meilleur pinceau de petit Hollandais.
Certes, de tels crocs-en-jambes à la chronologie méritent certaine
indulgence dans l’intérêt de notre propre plaisir; si tous ces Frago,
et ces Hubert-Robert, et ces Greuze, et ces Boissieu, naissent vers
1733, c’est, après tout, pour mourir de vieillesse entre 1806 et 1808 ;
et je serais le premier, à regretter pour ma part, de n’avoir point
fait connaissance avec un très agréable dessin signé El. Moitié, c’est-
à-dire l’œuvre d’un honnête graveur, qui fut père du sculpteur
renommé, d’un autre graveur et d’un architecte, et mourut lui-même
en 1780, neuf ans avant l’ère de rigueur. Ce dessin semble le portrait
d’une élégante et coquette jeune femme assise, dont le costume rap-
pelle ceux des jolies mondaines de Trinquesse, avec tout autant de
légèreté dans le crayonnement de la robe, et plus de vérité dans le
pastel habile de la petite tête bien posée et qui supporte tranquil-
lement le regard. J’avoue que ce Moitte authentique m’intéresse
davantage que ne le feraient des Greuze et des Prud’hon douteux.
Puisque logiquement, par la date de son dessin, et surtout par sa
paternité de David, Tien marche le premier dans la vraie Exposition
de notre centenaire, disons que la composition signée de lui offre un
intérêt historique très singulier; le sujet en est fort inattendu pour
un premier peintre de Louis XYI, très honnête homme, très modéré
d’humeur, très attaché à son roi, et qui, par suite, devait être fort
suspect aux terribles puissants de 93. De là, justement, l’occasion
de ce dessin. David ayant appris que son maître allait être arrêté,
c’est-à-dire traduit devant le tribunal révolutionnaire, courut chez
lui et le supplia, pour échapper à l’inévitable guillotine, de témoigner
par une œuvre quelconque qu’il n'était point l’ennemi de la Révo-
lution. Le vieillard céda et composa ce dessin, qui représente le
triomphe même de cette Révolution. Son char est traîné par Hercule
et par Mars; de ses mains elle tient l’olivier et la corne d’abondance.
La Justice et l’Egalité se tiennent debout derrière elle; elle vient de
passer sous l’arc de la Constitution de 1793. Les populations s’em-
pressent au-devant du char. Cette feuille de civisme à la main, où
le vieux peintre n’avait écrit après tout qu'une allégorie banale, à
laquelle ne manquent, cela va sans dire, ni les guerriers blessés, ni
les laboureurs, ni les mères fécondes, ni l’aigle à deux têtes écrasée
par les roues, — David sauva son maître et ne le déshonora pas. —
Et, bien que la plume avec son lavis d’encre soit passablement trem-