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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Copier ne suffit pas, — il y a des orfèvres dont les banales et
maladroites copies sont plus faites pour dégoûter de l’émail que
pour le faire aimer. Il faut voir, comprendre et interpréter. L’un
des plus intéressants essais d’émaillerie religieuse à noter est chez
M. Armand Cailliat, de Lyon. — J’ai fait autrefois l’éloge de cet
homme de goût et nous parlerons de ses œuvres nouvelles dans un
autre chapitre. Ce qu’il faut dire ici, c’est qu’il est plus que ses con-
frères de Paris attiré vers l’émail, il essaie de mêler la couleur à
l’or, il a des modes de coloration que n’ont pas les autres, mais il n’a
pas encore osé mettre franchement un ton bleu comme un orfèvre
limousin, — il n’a jamais étendu les rouges qui gardent l’intensité
du feu où ils se sont fondus : il est timide parce qu’il est dépendant,
l’émail n’est pas son métier, il est tributaire de Paris. S’il a, dans
son atelier de Lyon, des ouvriers et des artistes pour modeler,
fondre, monter et ciseler, il n’a personne qui sache broyer l’émail et
le glacer dans la moufle. — Il est donc réduit à préparer ses champ-
levés, à donner des notes à l’aquarelle et à expédier à l’émailleur
parisien la pièce qu’on lui renvoie très proprement exécutée, mais
un peu fade. Si M. Armand Cailliat pouvait exécuter lui-même ou
faire exécuter sous ses yeux l’émail vers lequel l’attire son instinct
d’artiste, il y trouverait de bien grandes satisfactions. — Pourquoi
ne fait-il pas un émailleur de son fils qui est son élève convaincu?
Ce conseil, je le donne aussi à M. Poussielgue-Rusand et à
M. Trioullier. Pour eux, je le sais, l’atelier de l’émailleur est plus
voisin, mais ils ne sont pas les maîtres chez l’émailleur, ils s’en tiennent
à ce que celui-ci leur offre, c’est un métier à façon. Qu’ils installent
un four à batelier, ce n’est ni coûteux, ni difficile, qu’ils y mettent
un bon ouvrier et qu’ils fassent avec lui la copie d’un émail ancien
relevé au Louvre ou à Cluny : ils apprendront ainsi le métier de la
bonne manière. C’est ce qu’a dû faire M. Wilmotte, de Liège, si j’en
juge par une croix dont les émaux sont nuancées et parfondus avec
beaucoup de goût et de science. Quand l’orfèvre aura composé sa
palette d'émaux opaques et d’émaux transparents, la curiosité lui
viendra de l’augmenter de nuances intermédiaires; rien n’a plus de
charme que ces verres, la richesse en est bien plus considérable sur
le métal que sur la terre, et cependant, quand on voit l’étonnant pro-
grès réalisé par les céramistes, on s’étonne de l’indifférence des
orfèvres. Ils ne sortiront de leur routine qu’en abandonnant le
mauvais procédé des défoncés à l’eau-forte, en reprenant le mode du
champlevage au burin, du cloisonnage et des gravures en basse-taille.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Copier ne suffit pas, — il y a des orfèvres dont les banales et
maladroites copies sont plus faites pour dégoûter de l’émail que
pour le faire aimer. Il faut voir, comprendre et interpréter. L’un
des plus intéressants essais d’émaillerie religieuse à noter est chez
M. Armand Cailliat, de Lyon. — J’ai fait autrefois l’éloge de cet
homme de goût et nous parlerons de ses œuvres nouvelles dans un
autre chapitre. Ce qu’il faut dire ici, c’est qu’il est plus que ses con-
frères de Paris attiré vers l’émail, il essaie de mêler la couleur à
l’or, il a des modes de coloration que n’ont pas les autres, mais il n’a
pas encore osé mettre franchement un ton bleu comme un orfèvre
limousin, — il n’a jamais étendu les rouges qui gardent l’intensité
du feu où ils se sont fondus : il est timide parce qu’il est dépendant,
l’émail n’est pas son métier, il est tributaire de Paris. S’il a, dans
son atelier de Lyon, des ouvriers et des artistes pour modeler,
fondre, monter et ciseler, il n’a personne qui sache broyer l’émail et
le glacer dans la moufle. — Il est donc réduit à préparer ses champ-
levés, à donner des notes à l’aquarelle et à expédier à l’émailleur
parisien la pièce qu’on lui renvoie très proprement exécutée, mais
un peu fade. Si M. Armand Cailliat pouvait exécuter lui-même ou
faire exécuter sous ses yeux l’émail vers lequel l’attire son instinct
d’artiste, il y trouverait de bien grandes satisfactions. — Pourquoi
ne fait-il pas un émailleur de son fils qui est son élève convaincu?
Ce conseil, je le donne aussi à M. Poussielgue-Rusand et à
M. Trioullier. Pour eux, je le sais, l’atelier de l’émailleur est plus
voisin, mais ils ne sont pas les maîtres chez l’émailleur, ils s’en tiennent
à ce que celui-ci leur offre, c’est un métier à façon. Qu’ils installent
un four à batelier, ce n’est ni coûteux, ni difficile, qu’ils y mettent
un bon ouvrier et qu’ils fassent avec lui la copie d’un émail ancien
relevé au Louvre ou à Cluny : ils apprendront ainsi le métier de la
bonne manière. C’est ce qu’a dû faire M. Wilmotte, de Liège, si j’en
juge par une croix dont les émaux sont nuancées et parfondus avec
beaucoup de goût et de science. Quand l’orfèvre aura composé sa
palette d'émaux opaques et d’émaux transparents, la curiosité lui
viendra de l’augmenter de nuances intermédiaires; rien n’a plus de
charme que ces verres, la richesse en est bien plus considérable sur
le métal que sur la terre, et cependant, quand on voit l’étonnant pro-
grès réalisé par les céramistes, on s’étonne de l’indifférence des
orfèvres. Ils ne sortiront de leur routine qu’en abandonnant le
mauvais procédé des défoncés à l’eau-forte, en reprenant le mode du
champlevage au burin, du cloisonnage et des gravures en basse-taille.