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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
du Musée d’Aix, serait de 1811. Cette peinture implique un effort
rétrospectif des plus curieux. Le principe en est probablement
emprunté à la décoration d’un vase grec. Le dieu, chevelu et barbu à
outrance, est assis immobile sur son trône : Tliétis, qui a quelque
chose à lui demander, s’agenouille à demi devant lui; suppliante, elle
renverse sa tête en arrière, elle lève en l’air son bras nu et, avec une
familiarité respectueuse, elle caresse de ses doigts effilés la barbe
divine. Nul doute qu’il n’y ait une recherche d’élégance dans la
longue ligne décrite par le bras élevé de Tliétis, son épaule et son
dos. Mais une raideur singulière et qui semble voulue, paralyse les
intentions de l'artiste, et sa grâce reste hétéroclite. L’œuvre conserve
toutefois un attrait inexpliqué et une sorte de barbarie savoureuse.
Le talent d’Ingres a traversé une période éginétique.
Ici une vaste lacune se produit à l’Exposition. Dans la biographie
du maître, cet hiatus n’existe pas : il est rempli par le Vœu de
Louis XIII, VOdalisque, VApothéose d’Homère et bien d’autres œuvres
fameuses. Ces pages, dont on peut regretter l’absence, correspondent
à l’évolution italienne d’Ingres qui, comme David, était un adorateur
du passé, mais qui croyait que le remède aux infirmités modernes
devait être demandé, non à Limitation du bas-relief latin, mais à
l’étude des maîtres du xvie siècle, et de Raphaël plus que tout autre.
Sur cette période intéressante, l’Exposition garde le silence. Elle ne
reprend Ingres qu’avec le Saint Symphorien, exposé au Salon de 1834
et fort discuté, comme on le sait par les témoignages du temps. On a
fait venir de la cathédrale d’Autun cette peinture qui a provoqué
tant de disputes, et à propos de laquelle le combat pourrait recom-
mencer, si l’esprit de tolérance et peut-être la lassitude ne nous
avaient pas conduits au désarmement universel. Le Saint Symphorien
est évidemment une toile fort ambitieuse, et l’artiste semble avoir
voulu y présenter un résumé de son savoir.
Le tableau ayant reparu à l’Exposition internationale de 1855,
Théophile Gautier en a parlé avec enthousiasme L A ses yeux,
l’œuvre « semble indiquer une certaine préoccupation de Michel-
Ange. M. Ingres s’est dit sans doute : ce n’est pas assez d’avoir la
composition simple, la forme correcte, le contour précis; il faut
montrer que l’on est capable de ces outrances anatomiques tant
admirées, qui amènent les muscles à la peau et font de l’homme
vivant un écorché d’amphithéâtre; et il a rassemblé dans son tableau
1. Les Beaux-Arts en Europe (1853), I, p. J 47.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
du Musée d’Aix, serait de 1811. Cette peinture implique un effort
rétrospectif des plus curieux. Le principe en est probablement
emprunté à la décoration d’un vase grec. Le dieu, chevelu et barbu à
outrance, est assis immobile sur son trône : Tliétis, qui a quelque
chose à lui demander, s’agenouille à demi devant lui; suppliante, elle
renverse sa tête en arrière, elle lève en l’air son bras nu et, avec une
familiarité respectueuse, elle caresse de ses doigts effilés la barbe
divine. Nul doute qu’il n’y ait une recherche d’élégance dans la
longue ligne décrite par le bras élevé de Tliétis, son épaule et son
dos. Mais une raideur singulière et qui semble voulue, paralyse les
intentions de l'artiste, et sa grâce reste hétéroclite. L’œuvre conserve
toutefois un attrait inexpliqué et une sorte de barbarie savoureuse.
Le talent d’Ingres a traversé une période éginétique.
Ici une vaste lacune se produit à l’Exposition. Dans la biographie
du maître, cet hiatus n’existe pas : il est rempli par le Vœu de
Louis XIII, VOdalisque, VApothéose d’Homère et bien d’autres œuvres
fameuses. Ces pages, dont on peut regretter l’absence, correspondent
à l’évolution italienne d’Ingres qui, comme David, était un adorateur
du passé, mais qui croyait que le remède aux infirmités modernes
devait être demandé, non à Limitation du bas-relief latin, mais à
l’étude des maîtres du xvie siècle, et de Raphaël plus que tout autre.
Sur cette période intéressante, l’Exposition garde le silence. Elle ne
reprend Ingres qu’avec le Saint Symphorien, exposé au Salon de 1834
et fort discuté, comme on le sait par les témoignages du temps. On a
fait venir de la cathédrale d’Autun cette peinture qui a provoqué
tant de disputes, et à propos de laquelle le combat pourrait recom-
mencer, si l’esprit de tolérance et peut-être la lassitude ne nous
avaient pas conduits au désarmement universel. Le Saint Symphorien
est évidemment une toile fort ambitieuse, et l’artiste semble avoir
voulu y présenter un résumé de son savoir.
Le tableau ayant reparu à l’Exposition internationale de 1855,
Théophile Gautier en a parlé avec enthousiasme L A ses yeux,
l’œuvre « semble indiquer une certaine préoccupation de Michel-
Ange. M. Ingres s’est dit sans doute : ce n’est pas assez d’avoir la
composition simple, la forme correcte, le contour précis; il faut
montrer que l’on est capable de ces outrances anatomiques tant
admirées, qui amènent les muscles à la peau et font de l’homme
vivant un écorché d’amphithéâtre; et il a rassemblé dans son tableau
1. Les Beaux-Arts en Europe (1853), I, p. J 47.