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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
portraits de femme, ils s’en tiennent trop volontiers aux faciles ana-
logies que fournit le lis ou la rose et leur ravissement s’exprime par
des métamorphoses un peu banales : sur cette pente on arrive insen-
siblement à la beauté de keepsake.
Telle n’est pas la jeune Miss Galloway que M. Gregory a si brave-
ment illuminée de santé radieuse. Avec le rouge fort de la robe, le
rose vif des joues, les lèvres charnues, l’étincelant du regard, dans
une facture libre et pourtant serrée, ce portrait assez cru de tons
évoque l’exubérance de la vie enfantine en sa réelle splendeur.
M. Orchardson se souvient des délicieux babys de Reynolds et de
ses clartés vernissées quand il enveloppe d’une chaude lumière un
peu vitreuse un bel enfant couché qui tend les bras à sa mère, Maître
Bébé. Il y a beaucoup de charme naturel dans ce double portrait et le
plus vrai sentiment de l’adoration maternelle, de la vie rieuse et des
carnations nacrées de l’enfance, de la douce tyrannie des petits êtres.
On sait, d’ailleurs, que M. Orchardson compte parmi les plus subtils
physionomistes d’une école qui a poussé aussi loin que Debureau
l’étude des expressions du visage.
L’égalité continue de l’exécution donne aux portraits de M. Her-
komer quelque chose de figé. Le dessin loyal, le modelé jeune et plein
réalisent fort correctement la très aimable image de Miss Catherine
Grant, mais la vie s’atténue sous le faire onctueux, et dans une pein-
ture saponifiée où les étoffes et les carnations prennent une valeur
uniforme; on cherche en vain la transparence et la délicatesse rosée,
les nuances de corolles fraîches que Gainsborough accordait aux
joues de ses jeunes filles. M. Herkomer, qui obtint un légitime succès
avec les Invalides de Chelsea, est de ceux qui veulent être soutenus
par un sentiment humain. Il représente dignement cette École de
Kensington qui n’a pas donné à l’Angleterre de très forts peintres,
mais des conteurs émouvants, de plain-pied avec le goût moyen du
public.
Si dans tous ces portraits l’interprétation n’est ni très originale,
ni très soudaine, la justesse et le sérieux de l’expression morale
commandent le respect. Ces personnages semblent peu soucieux
d’offrir un champ de bataille aux reflets, un prétexte aux variations
musicales ; ils ne souffrent d’aucune maladie de la volonté, ils croient
en eux-mêmes. Les portraits de Wliistler croient surtout en Whistler.
Ils ont fait abandon d’eux-mêmes, sont à la merci de l’enchanteur,
pures émanations de sa fantaisie qui leur concède une existence fan-
tomale éminemment persuasive. Ils ont perdu leur ombre : ombres
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
portraits de femme, ils s’en tiennent trop volontiers aux faciles ana-
logies que fournit le lis ou la rose et leur ravissement s’exprime par
des métamorphoses un peu banales : sur cette pente on arrive insen-
siblement à la beauté de keepsake.
Telle n’est pas la jeune Miss Galloway que M. Gregory a si brave-
ment illuminée de santé radieuse. Avec le rouge fort de la robe, le
rose vif des joues, les lèvres charnues, l’étincelant du regard, dans
une facture libre et pourtant serrée, ce portrait assez cru de tons
évoque l’exubérance de la vie enfantine en sa réelle splendeur.
M. Orchardson se souvient des délicieux babys de Reynolds et de
ses clartés vernissées quand il enveloppe d’une chaude lumière un
peu vitreuse un bel enfant couché qui tend les bras à sa mère, Maître
Bébé. Il y a beaucoup de charme naturel dans ce double portrait et le
plus vrai sentiment de l’adoration maternelle, de la vie rieuse et des
carnations nacrées de l’enfance, de la douce tyrannie des petits êtres.
On sait, d’ailleurs, que M. Orchardson compte parmi les plus subtils
physionomistes d’une école qui a poussé aussi loin que Debureau
l’étude des expressions du visage.
L’égalité continue de l’exécution donne aux portraits de M. Her-
komer quelque chose de figé. Le dessin loyal, le modelé jeune et plein
réalisent fort correctement la très aimable image de Miss Catherine
Grant, mais la vie s’atténue sous le faire onctueux, et dans une pein-
ture saponifiée où les étoffes et les carnations prennent une valeur
uniforme; on cherche en vain la transparence et la délicatesse rosée,
les nuances de corolles fraîches que Gainsborough accordait aux
joues de ses jeunes filles. M. Herkomer, qui obtint un légitime succès
avec les Invalides de Chelsea, est de ceux qui veulent être soutenus
par un sentiment humain. Il représente dignement cette École de
Kensington qui n’a pas donné à l’Angleterre de très forts peintres,
mais des conteurs émouvants, de plain-pied avec le goût moyen du
public.
Si dans tous ces portraits l’interprétation n’est ni très originale,
ni très soudaine, la justesse et le sérieux de l’expression morale
commandent le respect. Ces personnages semblent peu soucieux
d’offrir un champ de bataille aux reflets, un prétexte aux variations
musicales ; ils ne souffrent d’aucune maladie de la volonté, ils croient
en eux-mêmes. Les portraits de Wliistler croient surtout en Whistler.
Ils ont fait abandon d’eux-mêmes, sont à la merci de l’enchanteur,
pures émanations de sa fantaisie qui leur concède une existence fan-
tomale éminemment persuasive. Ils ont perdu leur ombre : ombres