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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
formules incomplètes, nous y jouissons comme cl’une démonstration
vivante du mécanisme divin et des lois éternelles de cette création,
dégagées, révélées par la magie d’un grand artiste.
Barye est un classique non pas au sens étroit de l’école, mais
dans toute la force du terme, dans le sens absolu du mot. Ce qu’il a
fait est inattaquable, absolu. Je dirai volontiers qu’aucune école,
aucun parti (puisqu’il y en a en art), n’a le droit de le revendiquer.
Il les domine tous et il est pour tous un exemple par sa conscience
et par sa science, par sa vaillance et par sa sincérité, par son labeur
et par son génie.
VIII
L’année même (1875) où Barye mourait plein de jours et de jours
remplis d’œuvres, l’École française, qui venait à peine de prendre le
deuil de Corot et de J.-F. Millet, perdait J.-B. Carpeaux, mort à
47 ans, sans avoir dit son dernier mot, ni avoir eu le temps de
réaliser tout son rêve. Ce qu’on voit de lui au Palais des Beaux-Arts
suffirait pour l’étudier dans ses inspirations les plus significatives :
la Flore des Tuileries et la Danse de l’Opéra, les Quatre Parties du monde
soutenant la sphère de la fontaine de l’Observatoire, et les bustes de
MMmes la princesse Mathilde, la duchesse de Mouchy, la marquise de la
Valette et deM. Charles Garnier, 11’est-ce pas là, en quelques œuvres,
tout son génie et tout son cœur?... Rude avait réveillé la sculpture
française, il avait fait vivre le marbre ; Carpeaux lui communiqua
la fièvre, l’ivresse de la vie. Ces Danseuses, qui ont fait répandre tant
d’encre (sans parler de celle qu’un malfaiteur, resté inconnu, leur
jeta une nuit), sont emportées dans une folle sarabande, dont le
rythme est marqué par la musique d’Offenbach ; c’est le quadrille
d’Orphée aux Enfers à l’entrée de l’Académie de Musique... On ne
résiste pas plus à l’un qu’à l’autre d’ailleurs; jamais sculpture ne
fut plus entraînante, pétillante, ardente; — on pourrait dire exces-
sive. car elle arrive à ce degré aigu où le plaisir, tendu jusqu’au
paroxysme, sera bientôt lassitude et souffrance ; mais c’est seulement
à la réflexion qu’on s’en aperçoit. Il y a une impétuosité si persua-
sive, une si intense invitation et même une autorité si soudaine dans
le geste, dans toute l’attitude du jeune homme qui mène ce chœur
endiablé, qu’il est impossible de lui résister en face ; il vous tient par
la surprise et par la violence de la sensation... Le dos tourné, on
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
formules incomplètes, nous y jouissons comme cl’une démonstration
vivante du mécanisme divin et des lois éternelles de cette création,
dégagées, révélées par la magie d’un grand artiste.
Barye est un classique non pas au sens étroit de l’école, mais
dans toute la force du terme, dans le sens absolu du mot. Ce qu’il a
fait est inattaquable, absolu. Je dirai volontiers qu’aucune école,
aucun parti (puisqu’il y en a en art), n’a le droit de le revendiquer.
Il les domine tous et il est pour tous un exemple par sa conscience
et par sa science, par sa vaillance et par sa sincérité, par son labeur
et par son génie.
VIII
L’année même (1875) où Barye mourait plein de jours et de jours
remplis d’œuvres, l’École française, qui venait à peine de prendre le
deuil de Corot et de J.-F. Millet, perdait J.-B. Carpeaux, mort à
47 ans, sans avoir dit son dernier mot, ni avoir eu le temps de
réaliser tout son rêve. Ce qu’on voit de lui au Palais des Beaux-Arts
suffirait pour l’étudier dans ses inspirations les plus significatives :
la Flore des Tuileries et la Danse de l’Opéra, les Quatre Parties du monde
soutenant la sphère de la fontaine de l’Observatoire, et les bustes de
MMmes la princesse Mathilde, la duchesse de Mouchy, la marquise de la
Valette et deM. Charles Garnier, 11’est-ce pas là, en quelques œuvres,
tout son génie et tout son cœur?... Rude avait réveillé la sculpture
française, il avait fait vivre le marbre ; Carpeaux lui communiqua
la fièvre, l’ivresse de la vie. Ces Danseuses, qui ont fait répandre tant
d’encre (sans parler de celle qu’un malfaiteur, resté inconnu, leur
jeta une nuit), sont emportées dans une folle sarabande, dont le
rythme est marqué par la musique d’Offenbach ; c’est le quadrille
d’Orphée aux Enfers à l’entrée de l’Académie de Musique... On ne
résiste pas plus à l’un qu’à l’autre d’ailleurs; jamais sculpture ne
fut plus entraînante, pétillante, ardente; — on pourrait dire exces-
sive. car elle arrive à ce degré aigu où le plaisir, tendu jusqu’au
paroxysme, sera bientôt lassitude et souffrance ; mais c’est seulement
à la réflexion qu’on s’en aperçoit. Il y a une impétuosité si persua-
sive, une si intense invitation et même une autorité si soudaine dans
le geste, dans toute l’attitude du jeune homme qui mène ce chœur
endiablé, qu’il est impossible de lui résister en face ; il vous tient par
la surprise et par la violence de la sensation... Le dos tourné, on