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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
moderne. Accolé à d’autres expressions telles que celles-ci : Renaissance des lettres,
Renaissance des arts, le même mot a eu, en somme, une signification assez vague,
puisque, suivant les époques, cette signification a beaucoup varié. 11 a désigné
d’abord exclusivement le triomphe définitif de l’humanisme. En France, cet
événement était regardé comme absolument contemporain de François 1er, pro-
clamé le Père des lettres dans nos vieux manuels pédagogiques, dont l’influence est
si profonde et si vivace. En Italie, il a été appliqué longtemps, d’une façon non
moins systématique, à la période historique pendant laquelle un certain nombre
de philologues, chassés de Constantinople par la conquête des Turcs, ont été obligés
de se réfugier en Italie où ils se mirent à enseigner la littérature classique d’après
les traditions byzantines.
Quand j’étais au collège on apprenait encore que le monde moderne était né
en 1453, parce que divers éléments composant le foyer littéraire grec, alors
dispersés, avait répandu partout la lumière, compagne ordinaire de la culture des
lettres et des arts antiques. L’année de la prise de Constantinople était la date dès
lors fixée à la fin du moyen âge. Cette opinion, traditionnelle dans l’enseignement,
avait été déjà celle des humanistes patentés des xve et xvie siècle. Ils avaient con-
fondu à ce moment l’origine du mouvement littéraire moderne avec la fondation
des établissements officiels où la littérature antique a été publiquement professée ;
et ils avaient fait tout commencer avec eux-mêmes et avec la création de leurs
chaires. D’abord, on a donc voulu ne rien connaître en France avant la fondation
du Collège royal, ne rien connaître en Italie avant la constitution des premières
académies créées par les princes italiens du xve siècle. C’était naturel. Les
humanistes n’ont pas eu de peine à faire l’opinion puisqu’ils étaient seuls à écrire
l’histoire. On vivait encore sur cette opinion, il y a quelques années ; il était de
doctrine indiscutée que l’introduction des arts et des lettres antiques avaient eu
lieu an moment et par les moyens désignés ci-dessus et qu’avant cette introduction
tout n’était que ténèbres. Cette doctrine était, on le voit, nette, simple et fort
commode. Elle divisait l’histoire des lettres et des arts dans le monde en trois
grandes périodes: 1° l’antiquité classique qui disparaissait vers les derniers temps
carolingiens ; 2° le moyen âge qui, en Italie, finissait au milieu du xv° siècle avec
l’apparition du platonisme et des professeurs de grec et de droit romain, en France
avec le premier enseignement public des lettres anciennes, sous les règnes de
Louis XII et de François Ier; 3° la Renaissance qui était purement et simplement
le retour aux arts de l’antiquité.
On sait ce qui résulta d’un pareil enseignement. L’art de la seconde période
fut à la fois négligé, méprisé et combattu comme la négation de l’art de la pre-
mière période. Quant à celui de la troisième période, on en toléra peu à peu le
goût et l’étude grâce à ses accointances avec l’art de la première. Mais, si flatteuse
qu’elle fut pour les instincts classiques de la pédagogie, en faisant considérer notre
art moderne comme la suite pure et simple des traditions de la Grèce et de Rome,
cette belle théorie n'a pas pu cependant durer éternellement. Elle a été facilement
battue en brèche. Un grave événement s’était passé depuis un demi-siècle. Long-
temps dédaigné et méprisé par les doctrinaires qui réservaient pour le prototype
antique toute leur admiration, l’art de la Renaissance, en prenant ce mot dans
l’acception consacrée et courante du moment, était cependant populaire. On s’était
mis à l’étudier en lui-même et à s’en inspirer directement. Les éditeurs avaient
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moderne. Accolé à d’autres expressions telles que celles-ci : Renaissance des lettres,
Renaissance des arts, le même mot a eu, en somme, une signification assez vague,
puisque, suivant les époques, cette signification a beaucoup varié. 11 a désigné
d’abord exclusivement le triomphe définitif de l’humanisme. En France, cet
événement était regardé comme absolument contemporain de François 1er, pro-
clamé le Père des lettres dans nos vieux manuels pédagogiques, dont l’influence est
si profonde et si vivace. En Italie, il a été appliqué longtemps, d’une façon non
moins systématique, à la période historique pendant laquelle un certain nombre
de philologues, chassés de Constantinople par la conquête des Turcs, ont été obligés
de se réfugier en Italie où ils se mirent à enseigner la littérature classique d’après
les traditions byzantines.
Quand j’étais au collège on apprenait encore que le monde moderne était né
en 1453, parce que divers éléments composant le foyer littéraire grec, alors
dispersés, avait répandu partout la lumière, compagne ordinaire de la culture des
lettres et des arts antiques. L’année de la prise de Constantinople était la date dès
lors fixée à la fin du moyen âge. Cette opinion, traditionnelle dans l’enseignement,
avait été déjà celle des humanistes patentés des xve et xvie siècle. Ils avaient con-
fondu à ce moment l’origine du mouvement littéraire moderne avec la fondation
des établissements officiels où la littérature antique a été publiquement professée ;
et ils avaient fait tout commencer avec eux-mêmes et avec la création de leurs
chaires. D’abord, on a donc voulu ne rien connaître en France avant la fondation
du Collège royal, ne rien connaître en Italie avant la constitution des premières
académies créées par les princes italiens du xve siècle. C’était naturel. Les
humanistes n’ont pas eu de peine à faire l’opinion puisqu’ils étaient seuls à écrire
l’histoire. On vivait encore sur cette opinion, il y a quelques années ; il était de
doctrine indiscutée que l’introduction des arts et des lettres antiques avaient eu
lieu an moment et par les moyens désignés ci-dessus et qu’avant cette introduction
tout n’était que ténèbres. Cette doctrine était, on le voit, nette, simple et fort
commode. Elle divisait l’histoire des lettres et des arts dans le monde en trois
grandes périodes: 1° l’antiquité classique qui disparaissait vers les derniers temps
carolingiens ; 2° le moyen âge qui, en Italie, finissait au milieu du xv° siècle avec
l’apparition du platonisme et des professeurs de grec et de droit romain, en France
avec le premier enseignement public des lettres anciennes, sous les règnes de
Louis XII et de François Ier; 3° la Renaissance qui était purement et simplement
le retour aux arts de l’antiquité.
On sait ce qui résulta d’un pareil enseignement. L’art de la seconde période
fut à la fois négligé, méprisé et combattu comme la négation de l’art de la pre-
mière période. Quant à celui de la troisième période, on en toléra peu à peu le
goût et l’étude grâce à ses accointances avec l’art de la première. Mais, si flatteuse
qu’elle fut pour les instincts classiques de la pédagogie, en faisant considérer notre
art moderne comme la suite pure et simple des traditions de la Grèce et de Rome,
cette belle théorie n'a pas pu cependant durer éternellement. Elle a été facilement
battue en brèche. Un grave événement s’était passé depuis un demi-siècle. Long-
temps dédaigné et méprisé par les doctrinaires qui réservaient pour le prototype
antique toute leur admiration, l’art de la Renaissance, en prenant ce mot dans
l’acception consacrée et courante du moment, était cependant populaire. On s’était
mis à l’étudier en lui-même et à s’en inspirer directement. Les éditeurs avaient