LA RENAISSANCE DANS LA FRANCE DU NORD.
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commandé des livres. On en avait fait. En rassemblant alors dans ces livres tous
les témoignages épars, on s’aperçut sur le papier et à la lecture des documents
que la Renaissance des arts en Italie, interrogée dans ses sources et dans la vie
de ses principaux acteurs, remontait plus haut que le milieu du xve siècle et qu’il
fallait s’avancer au moins jusqu’au début du même siècle. Rien de mieux. Les
documents d'histoire avaient dit la vérité. Donc, nouveau changement dans la
définition de la Renaissance. On recula alors les limites du point de départ de la
rénovation. Mais la confiance dans le vieil axiome réputé inattaquable était si
grande qu’on persista à attribuer à l’art antique une initiative et un mouvement
qui étaient sensiblement antérieurs à son intervention.
C’est en vain qu’on venait de toucher du doigt la solution définitive du
problème. Il aurait suffi pourtant de regarder en face et d’interroger avec intelli-
gence les monuments contemporains du nouveau point de départ. Mais, malheu-
reusement l'histoire de l’art est presque toujours écrite par des hommes de lettres
peu soucieux d’interroger le œuvres. La plupart du temps, elle est composée,
comme on dit, dans le silence du cabinet, méthodiquement, systématiquement,
loin de toutes comparaisons. La routine a donc continué à régir la matière. Le
dithyrambe réglementaire en faveur de l’art antique, éducateur, inspirateur,
initiateur est chaque jour répété, et, quand un accent trop personnel et trop indé-
pendant vient à être remarqué chez les modernes disciples réputés les plus exclu-
sivement faciles aux conseils de l’antiquité, on en est quitte pour dire que les yeux
de l’humanité, éclairés enfin par les splendeurs de l’art antique, se sont rouverts
du même coup sur la nature. Ce qui doit doubler notre reconnaissance pour la
source de tant bienfaits et de bienfaits aussi divers. Voilà, nous répète-t-on, comment
le monde s’est régénéré par la seule voie qui lui restait à suivre, et en renouant la
chaîne des temps. Et on en est ainsi arrivé à croire et à oser enseigner que, depuis
le xve siècle, nous devons tout à l’art antique, y compris le sentiment de la
nature.
Voyez cependant où peuvent conduire les conceptions formées a priori et les
conséquences d’un aveuglement volontaire. Aucune vaste étude d’ensemble n’a été
tentée sur l’art européen du xive siècle, au point de vue spécial de la peinture et de
la sculpture. L’esprit hanté par l’idée que seule la civilisation antique avait pu
renouveler le monde épuisé du moyen âge, les historiens, pour surprendre le point
de départ et le premier symptôme de régénération, n’ont pas voulu regarder autre
chose que l’Italie, c’est-à-dire le sol par excellence dépositaire du secret antique.
Entre toutes les races européennes, c’est uniquement de la famille italienne, pen-
saient-ils, que le Messie attendu pouvait naître, et c’est uniquement sur la terre
italienne qu’ils se sont appliqués à rechercher les premières manifestations de la
loi nouvelle, convaincus que la Révolution n’avait pas pu se produire sur un autre
théâtre. L’érudition, alors, a établi une sorte de cordon sanitaire autour du foyer
présumé de la propagande antique, et elle s’imagina que rien ne pourrait échapper
aux savants qu’elle avait appostés à la surveillance de toutes les issues. Montrez-
moi une histoire de la Renaissance qui ne commence pas par l’Italie. Le début
par l'Italie, conséquence de la pétition de principes signalée ci-dessus, est obliga-
toire. Attentifs donc à surprendre l’aube du jour nouveau, jaloux de saluer la
première apparition du style antique ressuscité, les yeux braqués sur cette Italie
prédestinée et sur les champs de ses ruines encore silencieuses, nos historiens,
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commandé des livres. On en avait fait. En rassemblant alors dans ces livres tous
les témoignages épars, on s’aperçut sur le papier et à la lecture des documents
que la Renaissance des arts en Italie, interrogée dans ses sources et dans la vie
de ses principaux acteurs, remontait plus haut que le milieu du xve siècle et qu’il
fallait s’avancer au moins jusqu’au début du même siècle. Rien de mieux. Les
documents d'histoire avaient dit la vérité. Donc, nouveau changement dans la
définition de la Renaissance. On recula alors les limites du point de départ de la
rénovation. Mais la confiance dans le vieil axiome réputé inattaquable était si
grande qu’on persista à attribuer à l’art antique une initiative et un mouvement
qui étaient sensiblement antérieurs à son intervention.
C’est en vain qu’on venait de toucher du doigt la solution définitive du
problème. Il aurait suffi pourtant de regarder en face et d’interroger avec intelli-
gence les monuments contemporains du nouveau point de départ. Mais, malheu-
reusement l'histoire de l’art est presque toujours écrite par des hommes de lettres
peu soucieux d’interroger le œuvres. La plupart du temps, elle est composée,
comme on dit, dans le silence du cabinet, méthodiquement, systématiquement,
loin de toutes comparaisons. La routine a donc continué à régir la matière. Le
dithyrambe réglementaire en faveur de l’art antique, éducateur, inspirateur,
initiateur est chaque jour répété, et, quand un accent trop personnel et trop indé-
pendant vient à être remarqué chez les modernes disciples réputés les plus exclu-
sivement faciles aux conseils de l’antiquité, on en est quitte pour dire que les yeux
de l’humanité, éclairés enfin par les splendeurs de l’art antique, se sont rouverts
du même coup sur la nature. Ce qui doit doubler notre reconnaissance pour la
source de tant bienfaits et de bienfaits aussi divers. Voilà, nous répète-t-on, comment
le monde s’est régénéré par la seule voie qui lui restait à suivre, et en renouant la
chaîne des temps. Et on en est ainsi arrivé à croire et à oser enseigner que, depuis
le xve siècle, nous devons tout à l’art antique, y compris le sentiment de la
nature.
Voyez cependant où peuvent conduire les conceptions formées a priori et les
conséquences d’un aveuglement volontaire. Aucune vaste étude d’ensemble n’a été
tentée sur l’art européen du xive siècle, au point de vue spécial de la peinture et de
la sculpture. L’esprit hanté par l’idée que seule la civilisation antique avait pu
renouveler le monde épuisé du moyen âge, les historiens, pour surprendre le point
de départ et le premier symptôme de régénération, n’ont pas voulu regarder autre
chose que l’Italie, c’est-à-dire le sol par excellence dépositaire du secret antique.
Entre toutes les races européennes, c’est uniquement de la famille italienne, pen-
saient-ils, que le Messie attendu pouvait naître, et c’est uniquement sur la terre
italienne qu’ils se sont appliqués à rechercher les premières manifestations de la
loi nouvelle, convaincus que la Révolution n’avait pas pu se produire sur un autre
théâtre. L’érudition, alors, a établi une sorte de cordon sanitaire autour du foyer
présumé de la propagande antique, et elle s’imagina que rien ne pourrait échapper
aux savants qu’elle avait appostés à la surveillance de toutes les issues. Montrez-
moi une histoire de la Renaissance qui ne commence pas par l’Italie. Le début
par l'Italie, conséquence de la pétition de principes signalée ci-dessus, est obliga-
toire. Attentifs donc à surprendre l’aube du jour nouveau, jaloux de saluer la
première apparition du style antique ressuscité, les yeux braqués sur cette Italie
prédestinée et sur les champs de ses ruines encore silencieuses, nos historiens,