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GAZETTE DES BEAUX ARTS.
hasard, dans un lot d’autographes, parmi plusieurs notes du sculp-
teur Gaulle, auquel il est adressé : « Monsieur, je ne puis vous dire
à quel moment on reprendra les travaux de l’Etoile, mais j’ai con-
fiance qu’on les reprendra, S. M. le Roi aidant, sitôt que le permet-
tront les finances du Royaume. J’espère que ce sera bientôt. Vous
savez que j’ai dans les mains les études de M. Chalgrin que j’ai
continuées. Vous savez aussi qu’il reste beaucoup de maçonnerie à
faire avant la sculpture; mais les pierres monteront d’elles-mêmes
les unes sur les autres. L’Arc de triomphe doit être un monument
glorieux à la France et, par conséquent, au Roi. J1 est impossible
qu’il ne soit pas achevé... »
Ne voit-on pas ressortir de ce petit papier, d’ailleurs sans date, la
virtuosité de l’architecte à soutenir son rêve dans la conversation des
artistes, à entretenir les espérances des sculpteurs, à faire entendre
que le projet n’est rien moins qu’abandonné. On peut être con-
vaincu que la question de raser ce qui est debout de l’édifice impérial
a été plus d’une fois agitée autour du roi. Mais quoi! Ce serait grande
affaire, et terriblement coûteuse, de renverser une construction
pareille et d’arracher du sol des fondations gigantesques, profondes
de huit mètres au moins. Qui sait, avec cela, si l’on ne froisserait pas
fort dangereusement le sentiment populaire? En outre, l’embellisse-
ment de cette entrée de Paris s’impose absolument. Dans l’embarras
où l’on est, on compte sur la longueur du temps pour simplifier
toute chose. Les mois s’écoulent, puis les années. Peu à peu, l’illusion
se fortifie qu’il serait possible de dérober l’Arc de triomphe à la
gloire de Napoléon par une consécration nouvelle. On a bien repris
au souvenir de la Grande Armée cette manière de temple antique
que lui avait voué Bonaparte, au cœur delà ville, et on l'a bien dédié
à sainte Madeleine sans opposition. Il conviendra de profiter de la
première circonstance pour rouvrir lès chantiers, par grâce royale,
et faire tailler en plein marbre par les meilleurs statuaires, des faits
et des symboles d’histoire qui laisseront au monument son caractère
en modifiant ses signifiances politiques. Et l’heureuse occasion se
produit, en 1823, après la guerre d’Espagne, brillamment terminée
sous l’égide du duc d’Angoulême. Qu’on rappelle les ouvriers tout de
suite! La Restauration croit avoir trouvé le moyen de s’approprier
l’Arc triomphal.
Goust a suivi de très près, sans en avoir l’air, ces divers achemi-
nements. La solution adoptée serait même partie de lui qu’on ne s’en
étonnerait guère. Seulement, toujours adroit, il ne s'est pas mis en
GAZETTE DES BEAUX ARTS.
hasard, dans un lot d’autographes, parmi plusieurs notes du sculp-
teur Gaulle, auquel il est adressé : « Monsieur, je ne puis vous dire
à quel moment on reprendra les travaux de l’Etoile, mais j’ai con-
fiance qu’on les reprendra, S. M. le Roi aidant, sitôt que le permet-
tront les finances du Royaume. J’espère que ce sera bientôt. Vous
savez que j’ai dans les mains les études de M. Chalgrin que j’ai
continuées. Vous savez aussi qu’il reste beaucoup de maçonnerie à
faire avant la sculpture; mais les pierres monteront d’elles-mêmes
les unes sur les autres. L’Arc de triomphe doit être un monument
glorieux à la France et, par conséquent, au Roi. J1 est impossible
qu’il ne soit pas achevé... »
Ne voit-on pas ressortir de ce petit papier, d’ailleurs sans date, la
virtuosité de l’architecte à soutenir son rêve dans la conversation des
artistes, à entretenir les espérances des sculpteurs, à faire entendre
que le projet n’est rien moins qu’abandonné. On peut être con-
vaincu que la question de raser ce qui est debout de l’édifice impérial
a été plus d’une fois agitée autour du roi. Mais quoi! Ce serait grande
affaire, et terriblement coûteuse, de renverser une construction
pareille et d’arracher du sol des fondations gigantesques, profondes
de huit mètres au moins. Qui sait, avec cela, si l’on ne froisserait pas
fort dangereusement le sentiment populaire? En outre, l’embellisse-
ment de cette entrée de Paris s’impose absolument. Dans l’embarras
où l’on est, on compte sur la longueur du temps pour simplifier
toute chose. Les mois s’écoulent, puis les années. Peu à peu, l’illusion
se fortifie qu’il serait possible de dérober l’Arc de triomphe à la
gloire de Napoléon par une consécration nouvelle. On a bien repris
au souvenir de la Grande Armée cette manière de temple antique
que lui avait voué Bonaparte, au cœur delà ville, et on l'a bien dédié
à sainte Madeleine sans opposition. Il conviendra de profiter de la
première circonstance pour rouvrir lès chantiers, par grâce royale,
et faire tailler en plein marbre par les meilleurs statuaires, des faits
et des symboles d’histoire qui laisseront au monument son caractère
en modifiant ses signifiances politiques. Et l’heureuse occasion se
produit, en 1823, après la guerre d’Espagne, brillamment terminée
sous l’égide du duc d’Angoulême. Qu’on rappelle les ouvriers tout de
suite! La Restauration croit avoir trouvé le moyen de s’approprier
l’Arc triomphal.
Goust a suivi de très près, sans en avoir l’air, ces divers achemi-
nements. La solution adoptée serait même partie de lui qu’on ne s’en
étonnerait guère. Seulement, toujours adroit, il ne s'est pas mis en