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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
aimables figures représentées. Que le génie de Lawrence ait été d'un
degré inférieur, qu’il lui ait manqué l’élévation, la noblesse, la pureté
classique, ce n’en est pas moins un génie très original, et d’un pou-
voir très durable. On peut reconnaître que la mode seule, dans son
œuvre, est promue à une dignité artistique : mais cette promotion
est-elle donc si banale, et la dignité de l’art ne suffit-elle pas à tout
justifier?
Le Louvre, malheureusement, ne peut guère nous servir à appuyer
notre jugement. L’unique portrait peint de Lawrence que nous y
ayons, le malheureux portrait du Comte Charles Whitworth (gravé
en 1814, par Turner, acheté, en 1881, à la vente Sackville Baie, pour
la somme de 9,190 francs) est une des œuvres les plus médiocres du
peintre. Le fâcheux état de sa conservation achève d’ailleurs de lui
enlever toute importance, malgré qu’il y ait dans le port de la tête et
dans le regard assez d’expression pour révéler un maître. Dans la
galerie des pastels, un portrait de femme peut tout au plus donner
l’idée de l’élégance naturelle de l’art de Lawrence et de son habileté
A traiter les plis de la bouche et le mouvement des yeux. Mais on
pourrait trouver à Paris même assez de Lawrence de premier ordre
pour prouver de la plus triomphante façon l’originalité et la variété
de ce peintre si injustement déprécié. M. Groult, M. le comte Pozzo di
Borgo, M. Edouard André possèdent, signés de Lawrence, quelques-
uns des plus beaux portraits qui aient jamais été peints. Et pareil-
lement la superbe collection de gravures de M. Berardi permet
d’apprécier dans toute sa variété le génie de Lawrence, dont le
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque ne peut fournir qu’une idée
tout à fait insuffisante.
A Londres, la National Gallery, le Musée de South Kensington,
la Galerie Nationale des Portraits, le Musée de Burlington House,
contiennent un grand nombre de tableaux du maître ; à Windsor aussi
les Lawrence abondent. Mais en Angleterre comme en France c’est
aux collections particulières qu’appartiennent les œuvres de premier
ordre, et c’est seulement dans les expositions que le génie de Law-
rence peut être pleinement apprécié.
L’aventure de ce peintre est, toutes proportions gardées, la même
qui échut à son prédécesseur Rubens, le seul des maîtres classiques
dont il se rapproche en quelques points. Comme Rubens, Lawrence a
laissé trop de tableaux, et sa fécondité nous a rendus injustes pour ses
aptitudes naturelles. Comme Rubens aussi, il a eu le tort de ne pas
soigner suffisamment l’exécution de ses ouvrages : plusieurs de ses
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aimables figures représentées. Que le génie de Lawrence ait été d'un
degré inférieur, qu’il lui ait manqué l’élévation, la noblesse, la pureté
classique, ce n’en est pas moins un génie très original, et d’un pou-
voir très durable. On peut reconnaître que la mode seule, dans son
œuvre, est promue à une dignité artistique : mais cette promotion
est-elle donc si banale, et la dignité de l’art ne suffit-elle pas à tout
justifier?
Le Louvre, malheureusement, ne peut guère nous servir à appuyer
notre jugement. L’unique portrait peint de Lawrence que nous y
ayons, le malheureux portrait du Comte Charles Whitworth (gravé
en 1814, par Turner, acheté, en 1881, à la vente Sackville Baie, pour
la somme de 9,190 francs) est une des œuvres les plus médiocres du
peintre. Le fâcheux état de sa conservation achève d’ailleurs de lui
enlever toute importance, malgré qu’il y ait dans le port de la tête et
dans le regard assez d’expression pour révéler un maître. Dans la
galerie des pastels, un portrait de femme peut tout au plus donner
l’idée de l’élégance naturelle de l’art de Lawrence et de son habileté
A traiter les plis de la bouche et le mouvement des yeux. Mais on
pourrait trouver à Paris même assez de Lawrence de premier ordre
pour prouver de la plus triomphante façon l’originalité et la variété
de ce peintre si injustement déprécié. M. Groult, M. le comte Pozzo di
Borgo, M. Edouard André possèdent, signés de Lawrence, quelques-
uns des plus beaux portraits qui aient jamais été peints. Et pareil-
lement la superbe collection de gravures de M. Berardi permet
d’apprécier dans toute sa variété le génie de Lawrence, dont le
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque ne peut fournir qu’une idée
tout à fait insuffisante.
A Londres, la National Gallery, le Musée de South Kensington,
la Galerie Nationale des Portraits, le Musée de Burlington House,
contiennent un grand nombre de tableaux du maître ; à Windsor aussi
les Lawrence abondent. Mais en Angleterre comme en France c’est
aux collections particulières qu’appartiennent les œuvres de premier
ordre, et c’est seulement dans les expositions que le génie de Law-
rence peut être pleinement apprécié.
L’aventure de ce peintre est, toutes proportions gardées, la même
qui échut à son prédécesseur Rubens, le seul des maîtres classiques
dont il se rapproche en quelques points. Comme Rubens, Lawrence a
laissé trop de tableaux, et sa fécondité nous a rendus injustes pour ses
aptitudes naturelles. Comme Rubens aussi, il a eu le tort de ne pas
soigner suffisamment l’exécution de ses ouvrages : plusieurs de ses