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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
entrevu dès la première heure, c’est l’heureux accord des facultés
intellectuelles et physiques, l’équilibre complet d’une nature harmo-
nieusement douée.
Ce petit homme à l’allure puissante, à la taille cambrée, avec ses
yeux luisants comme des braises, ses cheveux ras et drus, sa barbe
de Fleuve, comme tourmentée par le ciseau fiévreux d’un Puget, aussi
vif, aussi remuant, aussi actif à soixante ans qu’à vingt-cinq, était
bien tel qu’il convenait à l’auteur de la Rixe, delà Bataille de Solférino
et de 1814. Il avait l’abord parfois un peu bourru, cassant, et son
amour-propre était facile à heurter; mais le fond restait toujours
excellent, le cœur était d’or, la main loyale, prompte à servir les
bonnes causes, l’instinct familial et doux, la parole d’habitude
scandée et réfléchie. Ceux qui ont pénétré dans son intérieur n’ou-
blieront pas ce mélange piquant de raideur et d’urbanité, d’anima-
tion et de lenteur, d’absolutisme et de fine indulgence.
Ce laborieux et ce patient, qui avait parcouru toute la hiérarchie
des honneurs et des distinctions, dont le nom était salué dans les
deux hémisphères, était bien le fils de son travail et de sa persévé-
rance. Il nous offre un des plus remarquables exemples d’application
et de volonté qu’on puisse recommander.
Meissonier était né à Lyon, en 1815, le 21 février, à la veille du
dernier cataclysme qui allait emporter Napoléon. Il n’avait donc que
76 ans quand il est mort, et nul de ceux qui l’avaient vu alerte,
infatigable, après avoir dirigé l’immense besogne des opérations du
jury à l’Exposition universelle de 1889, défiler au Palais de l’Indus-
trie, portant haut et ferme le drapeau de l’art français, le grand
cordon de la Légion d’honneur en sautoir, et, plus récemment encore,
présider à l’organisation de la nouvelle Société des Beaux-Arts,
n’aurait pu douter qu’il n’eût encore devant lui de longues années de
gloire et d’activité. 11 semblait que cette main, vaillante comme celle
du Titien, dût tenir le pinceau, sans trembler, jusqu’à 99 ans. Hélas,
ainsi va la vie ! Il a suffi d’une imprudence pour terrasser en quelques
jours cette robuste constitution. Paris apprenait en même temps la
maladie et la mort du célèbre artiste.
Meissonier était issu d’un milieu de petits commerçants. 11 avait
été destiné par sa famille à reprendre la maison paternelle, un
magasin de denrées coloniales; mais, un goût irrésistible pour le
dessin l’entraîna, malgré ses parents, dans les sentiers ardus de l’art.
Ce ne furent, au début, que mécomptes et privations. 11 lui fallut un
singulier sentiment de sa vocation, une ardeur endiablée, pour
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
entrevu dès la première heure, c’est l’heureux accord des facultés
intellectuelles et physiques, l’équilibre complet d’une nature harmo-
nieusement douée.
Ce petit homme à l’allure puissante, à la taille cambrée, avec ses
yeux luisants comme des braises, ses cheveux ras et drus, sa barbe
de Fleuve, comme tourmentée par le ciseau fiévreux d’un Puget, aussi
vif, aussi remuant, aussi actif à soixante ans qu’à vingt-cinq, était
bien tel qu’il convenait à l’auteur de la Rixe, delà Bataille de Solférino
et de 1814. Il avait l’abord parfois un peu bourru, cassant, et son
amour-propre était facile à heurter; mais le fond restait toujours
excellent, le cœur était d’or, la main loyale, prompte à servir les
bonnes causes, l’instinct familial et doux, la parole d’habitude
scandée et réfléchie. Ceux qui ont pénétré dans son intérieur n’ou-
blieront pas ce mélange piquant de raideur et d’urbanité, d’anima-
tion et de lenteur, d’absolutisme et de fine indulgence.
Ce laborieux et ce patient, qui avait parcouru toute la hiérarchie
des honneurs et des distinctions, dont le nom était salué dans les
deux hémisphères, était bien le fils de son travail et de sa persévé-
rance. Il nous offre un des plus remarquables exemples d’application
et de volonté qu’on puisse recommander.
Meissonier était né à Lyon, en 1815, le 21 février, à la veille du
dernier cataclysme qui allait emporter Napoléon. Il n’avait donc que
76 ans quand il est mort, et nul de ceux qui l’avaient vu alerte,
infatigable, après avoir dirigé l’immense besogne des opérations du
jury à l’Exposition universelle de 1889, défiler au Palais de l’Indus-
trie, portant haut et ferme le drapeau de l’art français, le grand
cordon de la Légion d’honneur en sautoir, et, plus récemment encore,
présider à l’organisation de la nouvelle Société des Beaux-Arts,
n’aurait pu douter qu’il n’eût encore devant lui de longues années de
gloire et d’activité. 11 semblait que cette main, vaillante comme celle
du Titien, dût tenir le pinceau, sans trembler, jusqu’à 99 ans. Hélas,
ainsi va la vie ! Il a suffi d’une imprudence pour terrasser en quelques
jours cette robuste constitution. Paris apprenait en même temps la
maladie et la mort du célèbre artiste.
Meissonier était issu d’un milieu de petits commerçants. 11 avait
été destiné par sa famille à reprendre la maison paternelle, un
magasin de denrées coloniales; mais, un goût irrésistible pour le
dessin l’entraîna, malgré ses parents, dans les sentiers ardus de l’art.
Ce ne furent, au début, que mécomptes et privations. 11 lui fallut un
singulier sentiment de sa vocation, une ardeur endiablée, pour