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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 7.1892

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Nr. 1
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Michel, Émile: Les Cuyp, 1: une famille d'artistes hollandais
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https://doi.org/10.11588/diglit.24660#0014
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

grande église. C’est une succession ininterrompue de motifs tout
composés, que les peintres de la Hollande nous ont rendus familiers,
et l’on salue à chaque instant au passage quelques-uns de leurs
tableaux. A l’intérieur, la ville elle-même est charmante avec ses
quais, ses bassins remplis de bateaux que l’on décharge, ses canaux
silencieux, ses maisons aux pignons historiés, décorées d’emblèmes
et de devises, mais déjetées, surplombant la rue et accotées les unes
aux autres comme pour se soutenir mutuellement dans leur équilibre
hasardeux. Tous ces détails si franchement hollandais, on peut les
rencontrer épars dans d’autres villes ; mais réunis ici, ils forment
un ensemble caractéristique et laissent dans l’esprit le souvenir
inoubliable d’un décor très original et d’une heureuse cité, toute
pleine de récréantes images et de paisible activité.

C’est pourtant dans ce cadre aimable que s’agitèrent autrefois les
passions les plus violentes. Par deux fois Dordrecht fut appelée à
devenir le théâtre d’événements qui devaient exercer une influence
décisive sur l’avenir de toute une nation. On sait, en effet, qu’en 1572
les représentants des Provinces-Unies s’y assemblèrent pour la
première fois et que le grand Synode des théologiens protestants
appelés à se prononcer dans la querelle des Gomaristes et des
Arminiens y tint ses assises de 1618 à 1619, donnant, suivant la
remarque de M. H. Havard, l’exemple d’une des plus étranges contra-
dictions qu’on puisse relever dans l’histoire et forgeant de leurs
propres mains les chaînes d’une intolérante orthodoxie au lendemain
du jour où le pays avait secoué le joug espagnol et conquis son
indépendance1.

Au cours même de ces controverses derrière lesquelles s’abritaient
des animosités politiques qui devaient bientôt dégénérer en sanglantes
répressions, la ville n’avait pas cessé de tirer parti de sa situation
exceptionnelle. L’intelligence de ses habitants et les privilèges dont
ils jouissaient dès le moyen âge avaient fait d’elle l’entrepôt du
commerce des grains, des bois et des vins venus d’Allemagne ;
aussi sa prospérité était extrême 2. On pouvait croire que cette

1. La Hollande à vol d’oiseau, par ITenry Havard, p. 317.

2. La bonté de ces vins et la richesse des caves de Dordrecht contribuèrent
peut-être à y prolonger la durée du Synode et à échauffer les esprits dans les
interminables querelles sur la doctrine de la grâce auxquelles il donna lieu. Du
moins les comptes de la ville nous apprennent que, dans la somme d'un million de
florins que coûta l’entretien des théologiens réunis à Dordrecht, le prix du vin
qui fut absorbé entrait pour un chiffre fort respectable.
 
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