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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
rues, qu’on puisse regarder de tous les côtés sans y trouver rien à
redire? Ils sont rares et vous ferez la même remarque dans les
Salons actuels. Généralement chaque composition a sa façade, si je
puis dire : on sent que l’artiste a jugé inutile de compliquer son
travail en composant avec soin quatre faces; il suppose une invisible
muraille, d’invisibles pilastres qui arrêteraient la vue en arrière et
sur les flancs, obligeant le spectateur à se placer à un point de vue
unique. C’est une simplification très pratique, mais c’est se condamner
d’avance à une œuvre imparfaite. J’applaudis de grand cœur à la
première médaille que M. Icard remporte avec Les Droits de l’homme,
un vieillard assis faisant transcrire à un jeune garçon la célèbre
déclaration écrite sur des tables de marbre, mais je regrette les
trous laissés au revers du groupe et assez gauchement bouchés par
une chèvre dont la présence ne laisse pas que de surprendre un
peu. Les Fruits de la guerre de M. Boisseau, une mère serrant contre
elle ses enfants effrayés, pourraient sans inconvénient être adossés
à un mur. Ce mur serait plus nécessaire encore au héros chancelant,
soutenu par son compagnon, que M. Hugues appelle Victoire! Même
les Lutteurs de M. Perrin, bien qu’ils respectent beaucoup mieux les
principes du groupement, ne sont pas sans défaut à cet égard et ils
auraient besoin de prendre exemple sur leurs camarades antiques
exposés dans la fameuse Tribune de Florence. Nous montons un degré
de plus, si nous passons au groupe de M. Rougelet, Héro et Léandre,
à celui de M. Lombard, Samson et Dalila. Enfin nous trouvons une
consciencieuse étude, voisine de la perfection, dans le Nessus enlevant
Déjanirede M. Marqueste et dans le chœur gracieux des trois jeunes
filles dansant que M. Rambaux intitule Bonheur. Comparez ces deux
derniers morceaux aux précédents et vous comprendrez pourquoi ils
supposent un effort cérébral et une main-d’œuvre supérieurs : aucune
difficulté n’est esquivée, tout s’équilibre et se correspond, quel que
soit le point de vue où l’on se place. Je ne dis pas que l’inspiration
soit très neuve : M. Marqueste ne dissimule pas ses accointances avec
Coysevox et le siècle de Louis XIV ; M. Rambaux connaît sûrement
le groupe de Carpeaux à l’Opéra ; mais c’est d’excellente technique et
en sculpture, plus encore qu’en peinture, la science du métier est
une condition essentielle du succès.
Un autre défaut fréquent est de prendre des personnages et de
les juxtaposer sans les relier entre eux par un indissoluble lien.
Dans cette réunion ainsi formée vous pouvez extraire une des parties
du tout, l’isoler et lui donner la valeur d’un sujet qui se suffit à lui-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
rues, qu’on puisse regarder de tous les côtés sans y trouver rien à
redire? Ils sont rares et vous ferez la même remarque dans les
Salons actuels. Généralement chaque composition a sa façade, si je
puis dire : on sent que l’artiste a jugé inutile de compliquer son
travail en composant avec soin quatre faces; il suppose une invisible
muraille, d’invisibles pilastres qui arrêteraient la vue en arrière et
sur les flancs, obligeant le spectateur à se placer à un point de vue
unique. C’est une simplification très pratique, mais c’est se condamner
d’avance à une œuvre imparfaite. J’applaudis de grand cœur à la
première médaille que M. Icard remporte avec Les Droits de l’homme,
un vieillard assis faisant transcrire à un jeune garçon la célèbre
déclaration écrite sur des tables de marbre, mais je regrette les
trous laissés au revers du groupe et assez gauchement bouchés par
une chèvre dont la présence ne laisse pas que de surprendre un
peu. Les Fruits de la guerre de M. Boisseau, une mère serrant contre
elle ses enfants effrayés, pourraient sans inconvénient être adossés
à un mur. Ce mur serait plus nécessaire encore au héros chancelant,
soutenu par son compagnon, que M. Hugues appelle Victoire! Même
les Lutteurs de M. Perrin, bien qu’ils respectent beaucoup mieux les
principes du groupement, ne sont pas sans défaut à cet égard et ils
auraient besoin de prendre exemple sur leurs camarades antiques
exposés dans la fameuse Tribune de Florence. Nous montons un degré
de plus, si nous passons au groupe de M. Rougelet, Héro et Léandre,
à celui de M. Lombard, Samson et Dalila. Enfin nous trouvons une
consciencieuse étude, voisine de la perfection, dans le Nessus enlevant
Déjanirede M. Marqueste et dans le chœur gracieux des trois jeunes
filles dansant que M. Rambaux intitule Bonheur. Comparez ces deux
derniers morceaux aux précédents et vous comprendrez pourquoi ils
supposent un effort cérébral et une main-d’œuvre supérieurs : aucune
difficulté n’est esquivée, tout s’équilibre et se correspond, quel que
soit le point de vue où l’on se place. Je ne dis pas que l’inspiration
soit très neuve : M. Marqueste ne dissimule pas ses accointances avec
Coysevox et le siècle de Louis XIV ; M. Rambaux connaît sûrement
le groupe de Carpeaux à l’Opéra ; mais c’est d’excellente technique et
en sculpture, plus encore qu’en peinture, la science du métier est
une condition essentielle du succès.
Un autre défaut fréquent est de prendre des personnages et de
les juxtaposer sans les relier entre eux par un indissoluble lien.
Dans cette réunion ainsi formée vous pouvez extraire une des parties
du tout, l’isoler et lui donner la valeur d’un sujet qui se suffit à lui-