LES SALONS DE 1892.
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statues, la Minerve du Parthénon, le Jupiter Olympien, la Junon
d’Argos, sorties des mains de Phidias et de Polyclète, étaient faites
en ces matières précieuses d’or, d’ivoire et de gemmes. Là encore,
M. Gérôme n’a pas voulu copier l’antique et il a eu raison. Com-
ment les anciens arrivaient-ils à débiter les ivoires en minces
plaquettes, à les ciseler et à les amollir pour les placer sur les con-
tours d’un noyau de bois représentant les formes sculptées de
l’idole? Comment pouvait-on enlever et remettre à volonté les
lamelles d’or pour en vérifier le poids? Comment les sutures et les
points de jonction entre tous ces matériaux étaient-ils dissimulés?
C’est ce qu’on entrevoit fort vaguement par les textes des auteurs.
Le duc de Luynes a fait jadis reconstituer à grands frais par Simart,
d’après les descriptions dePausanias, la Minerve Parthénos, aujour-
d’hui exposée au château de Dampierre : c’est une oeuvre plus
curieuse que belle, et il est certain qu’elle est fort éloignée, par le
style même et par l’agencement des tons polychromes, de ce que
devait être l’original antique.
M. Gérôme ne s’est pas astreint à la reproduction des détails
techniques : dans sa statue, les bras et les jambes sont des morceaux
d’ivoire pleins, légèrement patinés; la figure est un masque soudé
au casque de métal: le corps tout entier et le serpent sont une fonte
creuse où le bronze, le cuivre rouge, l’étain, la dorure fournissent
les tons variés de la polychromie. Le procédé est beaucoup plus
simple, plus économique et plus durable què celui des Grecs. Les
oeuvres antiques avaient-elles cet aspect? Nous n’en savons et nous
n’en saurons jamais rien, puisque les originaux du ve siècle sont ,
irrémédiablement perdus. Je considère seulement la tentative
actuelle comme une promesse de nouvelles recherches pour l’avenir.
Ce n’est pas de la statuaire chryséléphantine, c’est de la métallurgie
polychrome. Tant mieux si nous devons à cet essai la création d’un
genre inédit ; tant mieux si l’exemple des anciens conduit nos con-
temporains à inventer eux-mêmes. C’est ainsi que l’étude du passé
est féconde; elle doit suggérer des idées, et non des pastiches. N’y
a-t-il d’ailleurs que des inspirations antiques dans ce morceau?
N'est-il pas possible d’y découvrir des influences venues de l’Ex-
trême-Orient et trahies, en particulier, par le serpent à large pèle-
rine qui darde sur le spectateur ses yeux cruels, par le désordre
pittoresque des lauriers qui jonchent le bouclier de la guerrière.’
Il y a de tout dans cette œuvre étrange et audacieuse.
Si j’ai un reproche à lui faire, c’est de vouloir étonner. Elle frappe
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statues, la Minerve du Parthénon, le Jupiter Olympien, la Junon
d’Argos, sorties des mains de Phidias et de Polyclète, étaient faites
en ces matières précieuses d’or, d’ivoire et de gemmes. Là encore,
M. Gérôme n’a pas voulu copier l’antique et il a eu raison. Com-
ment les anciens arrivaient-ils à débiter les ivoires en minces
plaquettes, à les ciseler et à les amollir pour les placer sur les con-
tours d’un noyau de bois représentant les formes sculptées de
l’idole? Comment pouvait-on enlever et remettre à volonté les
lamelles d’or pour en vérifier le poids? Comment les sutures et les
points de jonction entre tous ces matériaux étaient-ils dissimulés?
C’est ce qu’on entrevoit fort vaguement par les textes des auteurs.
Le duc de Luynes a fait jadis reconstituer à grands frais par Simart,
d’après les descriptions dePausanias, la Minerve Parthénos, aujour-
d’hui exposée au château de Dampierre : c’est une oeuvre plus
curieuse que belle, et il est certain qu’elle est fort éloignée, par le
style même et par l’agencement des tons polychromes, de ce que
devait être l’original antique.
M. Gérôme ne s’est pas astreint à la reproduction des détails
techniques : dans sa statue, les bras et les jambes sont des morceaux
d’ivoire pleins, légèrement patinés; la figure est un masque soudé
au casque de métal: le corps tout entier et le serpent sont une fonte
creuse où le bronze, le cuivre rouge, l’étain, la dorure fournissent
les tons variés de la polychromie. Le procédé est beaucoup plus
simple, plus économique et plus durable què celui des Grecs. Les
oeuvres antiques avaient-elles cet aspect? Nous n’en savons et nous
n’en saurons jamais rien, puisque les originaux du ve siècle sont ,
irrémédiablement perdus. Je considère seulement la tentative
actuelle comme une promesse de nouvelles recherches pour l’avenir.
Ce n’est pas de la statuaire chryséléphantine, c’est de la métallurgie
polychrome. Tant mieux si nous devons à cet essai la création d’un
genre inédit ; tant mieux si l’exemple des anciens conduit nos con-
temporains à inventer eux-mêmes. C’est ainsi que l’étude du passé
est féconde; elle doit suggérer des idées, et non des pastiches. N’y
a-t-il d’ailleurs que des inspirations antiques dans ce morceau?
N'est-il pas possible d’y découvrir des influences venues de l’Ex-
trême-Orient et trahies, en particulier, par le serpent à large pèle-
rine qui darde sur le spectateur ses yeux cruels, par le désordre
pittoresque des lauriers qui jonchent le bouclier de la guerrière.’
Il y a de tout dans cette œuvre étrange et audacieuse.
Si j’ai un reproche à lui faire, c’est de vouloir étonner. Elle frappe