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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la statuette entière dans un bain de lait de chaux qui bouchait les
pores de l’argile et permettait d’appliquer sur ce fond les tons définitifs.
N’y a-t-il pas quelque chose d’analogue à trouver? C’est l’affaire des
gens du métier et je me contente de poser la question. D’ailleurs il
ne faut pas oublier que le relief de Mme Besnard doit être exécuté en
céramique et qu’il retrouvera dans les glaçures de l’émail l’éclat qui
lui manque en ce moment.
Le problème me parait assez bien résolu en ce qui concerne la
polychromie métallique. Outre ses qualités de modelé, le Buste
du sculpteur Rodin, exposé par Mlle Claudel au Champ-de-Mars, est
rendu fort expressif par l’emploi des tons verts ou rougeâtres qui
rehaussent l’énergique physionomie du célèbre artiste et enlèvent
au bronze un luisant trop monotone. Léonard de Vinci, à la suite du
passage cité plus haut, critiquait déjà la couleur du bronze enfermes
sévères : « ... le bronze reste noir et laid, tandis que la peinture
abonde en couleurs charmantes et infiniment variées. » Comment ne
pas encourager les artistes qui s’ingénient à unir les deux arts? Les
essais intéressants ne manquent pas cette année. Voyez aux Champs-
Elysées la Jeune mère araucanienne de M. Arias, le buste argenté de
Mme Georges D., par M. Fournier; au Champ-de-Mars, la dramatique
Tête coupée qu’expose M. Injalbert, et les Bustes de M. Carriès dont
deux sont ici reproduits en héliogravure. Ceux-ci attirent surtout
l’attention du visiteur par une patine remarquablement douce et
fondue. Ce ne sont point seulement des touches isolées, destinées à
rehausser l’uniforme noirceur du métal, mais une sorte d’enduit qui
couvre presque entièrement la surface et dont les nuances tour à tour
glauques, olivâtres ou rousses, charment les yeux par leur paisible
harmonie. M. Carriès, sans le savoir peut-être, a retrouvé un procédé
analogue à celui des bronziers antiques. Voici comment s’exprime un
jeune archéologue, M. Léchât, au sujet d’une jolie statuette en bronze
d’Aphrodite appartenant à M. Carapanos 1 : « Elle est d’une admirable
couleur verte, nuancée de bleu par places, couleur brillante et douce
comme un émail, ferme sans être pesante, qui est pour l’œil comme une
caresse voluptueuse. Certaines plantes d’eau offrent sur leurs feuilles
luisantes cet éclat profond, cet aspect à la fois lisse et velouté. » Or,
un passage de Plutarque nous fait savoir qu’on admirait dans le
temple de Delphes des statues dont la patine extérieure ne ressemblait
pas à une rouille causée par le temps, mais à « une teinture d’azur
1. Bulletin de correspondance hellénique, 1892, p. 461-481.
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la statuette entière dans un bain de lait de chaux qui bouchait les
pores de l’argile et permettait d’appliquer sur ce fond les tons définitifs.
N’y a-t-il pas quelque chose d’analogue à trouver? C’est l’affaire des
gens du métier et je me contente de poser la question. D’ailleurs il
ne faut pas oublier que le relief de Mme Besnard doit être exécuté en
céramique et qu’il retrouvera dans les glaçures de l’émail l’éclat qui
lui manque en ce moment.
Le problème me parait assez bien résolu en ce qui concerne la
polychromie métallique. Outre ses qualités de modelé, le Buste
du sculpteur Rodin, exposé par Mlle Claudel au Champ-de-Mars, est
rendu fort expressif par l’emploi des tons verts ou rougeâtres qui
rehaussent l’énergique physionomie du célèbre artiste et enlèvent
au bronze un luisant trop monotone. Léonard de Vinci, à la suite du
passage cité plus haut, critiquait déjà la couleur du bronze enfermes
sévères : « ... le bronze reste noir et laid, tandis que la peinture
abonde en couleurs charmantes et infiniment variées. » Comment ne
pas encourager les artistes qui s’ingénient à unir les deux arts? Les
essais intéressants ne manquent pas cette année. Voyez aux Champs-
Elysées la Jeune mère araucanienne de M. Arias, le buste argenté de
Mme Georges D., par M. Fournier; au Champ-de-Mars, la dramatique
Tête coupée qu’expose M. Injalbert, et les Bustes de M. Carriès dont
deux sont ici reproduits en héliogravure. Ceux-ci attirent surtout
l’attention du visiteur par une patine remarquablement douce et
fondue. Ce ne sont point seulement des touches isolées, destinées à
rehausser l’uniforme noirceur du métal, mais une sorte d’enduit qui
couvre presque entièrement la surface et dont les nuances tour à tour
glauques, olivâtres ou rousses, charment les yeux par leur paisible
harmonie. M. Carriès, sans le savoir peut-être, a retrouvé un procédé
analogue à celui des bronziers antiques. Voici comment s’exprime un
jeune archéologue, M. Léchât, au sujet d’une jolie statuette en bronze
d’Aphrodite appartenant à M. Carapanos 1 : « Elle est d’une admirable
couleur verte, nuancée de bleu par places, couleur brillante et douce
comme un émail, ferme sans être pesante, qui est pour l’œil comme une
caresse voluptueuse. Certaines plantes d’eau offrent sur leurs feuilles
luisantes cet éclat profond, cet aspect à la fois lisse et velouté. » Or,
un passage de Plutarque nous fait savoir qu’on admirait dans le
temple de Delphes des statues dont la patine extérieure ne ressemblait
pas à une rouille causée par le temps, mais à « une teinture d’azur
1. Bulletin de correspondance hellénique, 1892, p. 461-481.