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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 10.1893

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Nr. 6
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Murga, Gonzalo de: Lettre d'Allemagne: le "Cycle de Berlioz" à Carlsruhe
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https://doi.org/10.11588/diglit.24663#0524
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504

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

dirigeait, n’en a rendu qu’à de rares moments la radieuse poésie; en général, il
ne semblait pas en avoir pénétré le caractère, et les principaux interprètes nous
y donnaient la souffrance d’un perpétuel contre-sens. Il nous a fallu aller à
Carlsruhe pour voir s’épanouir dans toute sa grâce et toute sa fraîcheur cette
fleur de poésie si française. M. Mottl comprend Berlioz parce qu’il l'aime; rien ne
lui échappe des moindres intentions du maître et il sait les faire saisir à tous les
artistes qu’il conduit. C'est là le secret de toutes les belles exécutions des grandes
œuvres.

La troisième soirée interrompait le cycle dramatique par un concert composé
d’œuvres symphoniques de Berlioz qui nous sont connues : la Symphonie fantas-
tique, exécutée avec autant de verve et de chaleur qu’au Châtelet, la belle ouverture
du Roi Lear, deux fragments d'Harold en Italie. Mais on y donnait aussi quatre
admirables mélodies du maître, dont l’une, la Yillanelle, qui est peut-être la
moindre, est, si je ne me trompe, seule entendue dans nos concerts. Mme Mottl a
produit une véritable sensation en les chantant (en français) de sa voix chaude et
veloutée. Deux surtout, l’Absence et le Spectre de la Rose, ont été dites par elle avec
une émoi ion qui nous a remués jusqu’au cœur.

Ce sont les Troyens qui remplissaient les deux dernières soirées. Il est, je crois,
utile de dire, car tout le monde ne le sait pas, que les Troyens se composent de
deux parties : la Prise de Troie et les Troyens à Carthage, que Berlioz écrivit d’un
seul jet, pensant d’abord ne faire qu’un opéra unique, mais qu'il dut séparer
ensuite, à cause des proportions imprévues qu’avait prises son œuvre. C’est assez
dire l’étroite connexité que conservent ces deux parties d’un même ouvrage et
qu’il ne faut pas voir là deux opéras, mais un opéra en deux soirées. M. Mottl a
trop d’intelligence artistique et trop de respect des chefs-d’œuvre pour n’avoir pas
compris qu’il ne fallait pas diviser ce que la pensée de l'auteur avait uni, et il
joue toujours les Troyens en deux soirées consécutives. La chose, étant inusitée,
paraîtrait sans doute impossible et même ridicule à nos directeurs parisiens, mais,
là-bas, elle a paru très simple et très grande.

La Prise de Troie n’a jamais été représentée, en France, sur un théâtre, mais,
en 1879, elle fut exécutée en entier, sans décors ni costumes, dans deux concerts
à la fois : Pasdeloup et M. Colonne s’étaient rencontrés dans la même pensée, et,
pendant plusieurs dimanches de suite, celte œuvre qu’on n’avait jamais entendue
auparavant, qu’on n’a jamais entendue depuis, fut offerte au public du Cirque-
d'IIiver et du Châtelet. Elle produisit, des deux côtés, une impression énorme,
mais surtout chez M. Colonne, dont cette admirable exécution reste, avec celles
de la Damnation de Faust et du Requiem, le plus beau titre de gloire artistique. 11
est sans doute surprenant que l’effet produit alors par cette grande œuvre n’ait
pas décidé l’un des directeurs de nos théâtres à la transporter sur la scène ; mais
peut-être n’avons-nous pas à le regretter; la triste aventure des Troyens à Car-
thage à l’Opéra-Coinique nous a montré ce que deviennent, dans nos théâtres, les
ouvrages d’une certaine taille.

Nous ne pouvions espérer de trouver, à Carlsruhe, une interprétation de la Prise
de Troie supérieure à celle du Châtelet; peut-être, même, n'osions-nous pas
t’attendre égale. Mais, là comme dans l’exécution de la Symphonie fantastique, il
me semble impossible d’établir une préférence. M. Mottl et M. Colonne apparaissent
comme deux artistes d’égale valeur; tous les deux ont la qualité si rare de l'intel-
 
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