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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 10.1893

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Nr. 6
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Murga, Gonzalo de: Lettre d'Allemagne: le "Cycle de Berlioz" à Carlsruhe
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https://doi.org/10.11588/diglit.24663#0525
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LE CYCLE DE BERLIOZ A CARLSIIUIIE.

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ligence, tous les deux joignent au talent technique indispensable le sens poétique-
qui ne l’est pas moins, mais qui fait défaut plus souvent; tous les deux, enfin,
aiment notre Berlioz d’un même amour, ont pénétré jusqu’au fond de son âme
tendre et tourmentée et savent suivre sa pensée jusque dans les nuances les plus,
ténues. M. Molli a eu seulement, de plus que son rival français, le bonheur de
pouvoir faire vivre sur la scène la création du maître et celui de rencontrer une

Cassandre incomparable. Plus heureux que le pauvre Berlioz, dont on connaît

la douloureuse plainte : « O ma noble Cassandre, mon héroïque vierge, il faut me
résigner, je ne t’entendrai jamais !... » Nous l’avons entendue, sa Cassandre, et
avec quel attendrissement! Nous l’avons entendue, nous l’avons vue, aussi noble,,
aussi pathétique, aussi désespérée qu’il la rêvait. Mme Reuss est l’âme de la Prise
de Troie; sa grande voix, son jeu tragique sont tellement imprégnés de la pensée
de l'œuvre, qu’elle fait frissonner la salle entière de l’horreur qui la domine... Les
autres rôles, peu nombreux, d’ailleurs, sont tenus d’une façon très ordinaire, mais
c’est à peine si l’on y songe. Tout est emporté par la fougue héroïque de Cassandre,
par la puissance irrésistible d’une exécution d’ensemble passionnée et grandiose,
et l’on sort d’une représentation pareille étouffé de larmes et stupéfié d’admiration.

Les émotions de cette nature sont ineffaçables et si rares qu’on n’a pas le droit
d’en espérer de semblables deux jours de suite. Nous avons eu, pourtant, ce
bonheur, car la soirée suivante nous réservait des impressions tout aussi grandes
et la conclusion triomphale de ces belles fêtes. Si M. Carvalho avait quelque souci
d’interpréter dignement les Troyens à Carthage, ce dont il est permis de douter, il
aurait dû se rendre à Carlsruhe, le 12 novembre. 11 eût appris, là, que la première
condition, pour faire vivre les chefs-d’œuvre, est de les respecter et de les com-
prendre ; il aurait reconnu à quel point les libertés prises avec la pensée des maîtres,
les coupures pratiquées à tort et à travers dans ce qu’ils ont écrit détruisent l’équi-
libre d’une œuvre longuement méditée, et que la plus grande habileté, pour qui
veut traduire une conception de génie, est encore de s’en faire le très humble et très
fidèle esclave. M. Molli ne disposait, pour les premiers rôles des Troyens à Carthage,
que de deux artistes de valeur : Mlle Mailhac et M. Plank; tous les autres, pris
individuellement, étaient inférieurs à ceux que nous avons entendus à l’Opéra-
Comique, et l'on ne saurait comparer, même de loin, le ténor chargé du grand
rôle d'Énée à M. Lat'arge, si admirable par moments. N'avions-nous pas encore
Mlle Delna, celte vaillante jeune fille dont la magnifique voix et les dons naturels
ne demandaient qu’à être dirigés?.. Malgré tout cela, l’œuvre qu’on nous a
montrée à Paris n'était qu’une chose informe, tandis que la véritable est apparue,
sur la scène allemande, rayonnante et sublime, dans la beauté de sa savante
ordonnance, dans sa variété infinie, dans sa couleur héroïque.

Il n’y a qu’à répéter ici, sur l’exécution, ce que je viens de dire pour celle de
la Prise de Troie. Toutefois, l’insuffisance de l’artiste qui tenait le rôle d’Énée
était chose grave ; mais le merveilleux orchestre a fait le prodige de le suppléer,
d’exprimer, en quelque sorte, pour lui, sa tendresse, ses luttes déchirantes, son
dévouement à la gloire Lroyennc. Cette tache a disparu dans la chaleur admirable
de l’ensemble, et, d’ailleurs, le dernier acte, qui appartient en entier à Bidon, aurait
suffi pour tout faire oublier. Mlle Mailhac s'y est montrée une tragédienne lyrique
aussi étonnante que Mme Reuss dans la Prise de Troie, et je n'hésite pas à la trouver
supérieure, dans ce rôle de Bidon, à ce qu’elle a coutume d’être dans ceux qu’elle
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