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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
simplement le maître du lieu qui se décerne à lui-même les honneurs
de l’apothéose. Dans son infatuation, il s’imagine avoir vaincu tous
les obstacles, tous ses ennemis. Non seulement il triomphe, il brave.
Pour que nul ne s’y trompe, sa trop hère devise, Quànon ascendet (sic),
s’étale sur le char vainqueur dont la roue écrase un reptile, défi
insolent au plus redoutable de ses adversaires, qui porte une cou-
leuvre en ses armes parlantes U Au reste, cette peinture n’est point
des meilleures de Le Brun. A considérer son exécution, elle paraît
avoir été conduite avec plus de hâte que de coutume et, en quelques
places, trop sommaire.
La voussure est fort remarquable, au contraire. Huit baies
simulées, rectangulaires, la divisent, ces baies décorées de vases
très riches, en perspective fuyante, d’où s’échappent des fleurs et des
fruits, et autour se jouent des enfants nus, peints avec beaucoup de
souplesse dans un coloris fin, clair et léger. Des médaillons en
camaïeu bleu lapis où sont les Eléments, amortissent les angles ;
sur quatre autres du même ton, ceux-là au plafond même, dans
l’encadrement du sujet central, se voient les combats d’Hercule
contre le lion de Némée, contre Cerbère, le dragon d’Hésione, les
oiseaux stymphalides, et, aux deux extrémités, deux génies supportent
des armoiries « d’azur au chastel sommé de trois tours d’or »,
celles de Mme Fouquet qui était Castille-Villemareuil. Ces divers
motifs se combinent dans' une architecture feinte, toute rehaussée
d’or, imitant le relief às’y méprendre, d’une extraordinaireopulence,
d’une exécution parfaite.
Toutefois, les grotesques semés à profusion sur les lambris, les
embrasures, les volets et les portes de cette salle et des suivantes
laissent à dire. Ils réjouissent le regard par l’interminable variété
des motifs et l’équilibre intelligent des pleins et des vides, par
l’agrément des colorations et le ruissellement des ors; mais souvent
les intentions sont vulgaires, les formes banales, le faire paraît épais
et contraint. Obligé de finir, Le Brun poussa-t-il avec trop de hâte
la besogne; ses collaborateurs manquaient-ils d’expérience? On peut
le croire. Toujours est-il que la distance est grande entre ce qu’il
exécuta à Vaux en cet ordre d’idées, et ce qu’il devait accomplir 1
1. Au pied de l’escalier de la grande terrasse se voyait un groupe d’une
signification plus audacieuse encore, plus brutale : un lion protégeait un écureuil
(l’écureuil des armes de Fouquet), poursuivi par une couleuvre (la couleuvre des
armes de Colbert).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
simplement le maître du lieu qui se décerne à lui-même les honneurs
de l’apothéose. Dans son infatuation, il s’imagine avoir vaincu tous
les obstacles, tous ses ennemis. Non seulement il triomphe, il brave.
Pour que nul ne s’y trompe, sa trop hère devise, Quànon ascendet (sic),
s’étale sur le char vainqueur dont la roue écrase un reptile, défi
insolent au plus redoutable de ses adversaires, qui porte une cou-
leuvre en ses armes parlantes U Au reste, cette peinture n’est point
des meilleures de Le Brun. A considérer son exécution, elle paraît
avoir été conduite avec plus de hâte que de coutume et, en quelques
places, trop sommaire.
La voussure est fort remarquable, au contraire. Huit baies
simulées, rectangulaires, la divisent, ces baies décorées de vases
très riches, en perspective fuyante, d’où s’échappent des fleurs et des
fruits, et autour se jouent des enfants nus, peints avec beaucoup de
souplesse dans un coloris fin, clair et léger. Des médaillons en
camaïeu bleu lapis où sont les Eléments, amortissent les angles ;
sur quatre autres du même ton, ceux-là au plafond même, dans
l’encadrement du sujet central, se voient les combats d’Hercule
contre le lion de Némée, contre Cerbère, le dragon d’Hésione, les
oiseaux stymphalides, et, aux deux extrémités, deux génies supportent
des armoiries « d’azur au chastel sommé de trois tours d’or »,
celles de Mme Fouquet qui était Castille-Villemareuil. Ces divers
motifs se combinent dans' une architecture feinte, toute rehaussée
d’or, imitant le relief às’y méprendre, d’une extraordinaireopulence,
d’une exécution parfaite.
Toutefois, les grotesques semés à profusion sur les lambris, les
embrasures, les volets et les portes de cette salle et des suivantes
laissent à dire. Ils réjouissent le regard par l’interminable variété
des motifs et l’équilibre intelligent des pleins et des vides, par
l’agrément des colorations et le ruissellement des ors; mais souvent
les intentions sont vulgaires, les formes banales, le faire paraît épais
et contraint. Obligé de finir, Le Brun poussa-t-il avec trop de hâte
la besogne; ses collaborateurs manquaient-ils d’expérience? On peut
le croire. Toujours est-il que la distance est grande entre ce qu’il
exécuta à Vaux en cet ordre d’idées, et ce qu’il devait accomplir 1
1. Au pied de l’escalier de la grande terrasse se voyait un groupe d’une
signification plus audacieuse encore, plus brutale : un lion protégeait un écureuil
(l’écureuil des armes de Fouquet), poursuivi par une couleuvre (la couleuvre des
armes de Colbert).