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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
jour à l’oubli l'homme à qui je devais un do mes premiers, un de
mes plus vifs plaisirs de curieux.
Je ne me serais pas permis d’évoquer cotte réminiscence toute
personnelle, si elle n’avait pas été très réellement le point de départ
des recherches dont je soumets aujourd’hui le résultat aux lecteurs.
Mc pardonnera-t-on d’ajouter que je me mis aussitôt à l’œuvre?
On pense bien que la bibliothèque d’un collégien ne pouvait pas
lui fournir grand secours. Charles Blanc, à qui, dans mon juvé-
nile enthousiasme, je signalai la regrettable lacune que présentait
l’Histoire des Peintres au sujet de Perronneau, me répondit par cet
axiome plus commode que généreux : « De minimis non curai prætor. »
Si le personnage n’était pas aussi mince que le disait Charles Blanc,
pour se débarrasser de mes importunités, il faut avouer qu’à part de
brefs passages dans les salonnicrs du temps, il n’avait pas tenu
grande place sous la plume de ses contemporains. Mariette ne lui a
pas fait une seule fois l’honneur de transcrire son nom sur les marges
de 1 'Abecedario ; Wille, son collègue à l’Académie Royale et qui,
selon Le Blanc, aurait collaboré à la belle planche de Daullé d’après
le portrait du marquis d’Aubais, ne le mentionne à aucune date de
son précieux Journal, pas même lors de l’élection de son successeur,
Nicolas Guibal ; à cette occasion même, les registres officiels ne lui
concèdent qu’une glaciale et tardive mention et, seules, les Affiches
de l’abbé de Fontenay lui consacrent une courte notice, aussitôt
calquée par les Mémoires secrets. De nos jours, les Archives anciennes
et nouvelles de l’Art français n’ont cité Perronneau qu’en raison de
sa présence sur les listes des académiciens et M. L. Dussieux a donné
jusqu’à trois éditions de ses Artistes français à l'étranger, sans
accorder une ligne à un peintre que l’abbé de Fontenay nous
représente comme une sorte de Juif-errant de l’art et à qui il fait
littéralement accomplir son tour d’Europe. Aussi, lorsque M. Rciset
mit au jour la seconde partie de son travail sur les dessins du
Louvre, se vit-il forcé, suivant son propre aveu, « d’accumuler les
points d’interrogation » dans la biographie qu’il avait tenté d’établir;
mais il rendait au talent du pauvre méconnu un hommage d’autant
plus précieux pour moi qu’il corroborait celui d’autres historiens de
l’art, dont les principes esthétiques étaient assurément très différents :
« Perronneau n’a ni la force, ni la merveilleuse vérité de La Tour,
disait-il, mais son talent est fin et délicat. Sa manière lui appartient
bien, et si tous ces portraits avaient été aussi beaux que celui de
Laurent Cars, le pauvre peintre fut devenu pour le maître du pastel
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
jour à l’oubli l'homme à qui je devais un do mes premiers, un de
mes plus vifs plaisirs de curieux.
Je ne me serais pas permis d’évoquer cotte réminiscence toute
personnelle, si elle n’avait pas été très réellement le point de départ
des recherches dont je soumets aujourd’hui le résultat aux lecteurs.
Mc pardonnera-t-on d’ajouter que je me mis aussitôt à l’œuvre?
On pense bien que la bibliothèque d’un collégien ne pouvait pas
lui fournir grand secours. Charles Blanc, à qui, dans mon juvé-
nile enthousiasme, je signalai la regrettable lacune que présentait
l’Histoire des Peintres au sujet de Perronneau, me répondit par cet
axiome plus commode que généreux : « De minimis non curai prætor. »
Si le personnage n’était pas aussi mince que le disait Charles Blanc,
pour se débarrasser de mes importunités, il faut avouer qu’à part de
brefs passages dans les salonnicrs du temps, il n’avait pas tenu
grande place sous la plume de ses contemporains. Mariette ne lui a
pas fait une seule fois l’honneur de transcrire son nom sur les marges
de 1 'Abecedario ; Wille, son collègue à l’Académie Royale et qui,
selon Le Blanc, aurait collaboré à la belle planche de Daullé d’après
le portrait du marquis d’Aubais, ne le mentionne à aucune date de
son précieux Journal, pas même lors de l’élection de son successeur,
Nicolas Guibal ; à cette occasion même, les registres officiels ne lui
concèdent qu’une glaciale et tardive mention et, seules, les Affiches
de l’abbé de Fontenay lui consacrent une courte notice, aussitôt
calquée par les Mémoires secrets. De nos jours, les Archives anciennes
et nouvelles de l’Art français n’ont cité Perronneau qu’en raison de
sa présence sur les listes des académiciens et M. L. Dussieux a donné
jusqu’à trois éditions de ses Artistes français à l'étranger, sans
accorder une ligne à un peintre que l’abbé de Fontenay nous
représente comme une sorte de Juif-errant de l’art et à qui il fait
littéralement accomplir son tour d’Europe. Aussi, lorsque M. Rciset
mit au jour la seconde partie de son travail sur les dessins du
Louvre, se vit-il forcé, suivant son propre aveu, « d’accumuler les
points d’interrogation » dans la biographie qu’il avait tenté d’établir;
mais il rendait au talent du pauvre méconnu un hommage d’autant
plus précieux pour moi qu’il corroborait celui d’autres historiens de
l’art, dont les principes esthétiques étaient assurément très différents :
« Perronneau n’a ni la force, ni la merveilleuse vérité de La Tour,
disait-il, mais son talent est fin et délicat. Sa manière lui appartient
bien, et si tous ces portraits avaient été aussi beaux que celui de
Laurent Cars, le pauvre peintre fut devenu pour le maître du pastel