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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
seuls à ses côtés celle période de gloire à son déclin, Rafi'el et
Gavarni : l’un sorti de Charlet à l’origine, niais l’ayant incompara-
blement dépassé, historien scrupuleux, chroniqueur infaillible,
poète à l’occasion, qui sut faire tenir en ses vignettes, comme cer-
tains parnassiens en leurs sonnets, toute la grandeur d’une épopée,
et plus tard, se renouvelant, devint môme le premier de nos ethno-
graphes; l’autre, élégant homme du monde, brillant, fringant en
ses débuts, symbole de toute grâce et de toute jeunesse, qui se lit
peu à peu, au contact de la vie, une philosophie amère et désen-
chantée, et, semant ses folies ou ses désillusions, a toujours gardé
son allure de grand seigneur un peu bohème et le charme de son
crayon aux fraîcheurs veloutées. C’est le dernier mot, la dernière
fusée du feu d’artifice.
Après eux, de leur temps même, la lithographie s’éteint et
meurt. Daumier et Gavarni assistèrent, témoins impuissants et
attristés, à sa lente agonie. L’eau-forte, qui vient de renaître et dont
la nouveauté même est une séduction , attire désormais à elle toutes
les forces vives de la jeunesse, suscite tout un groupe de créateurs
nouveaux. La gravure sur bois, la photographie, toujours en progrès,
fournissant des moyens plus rapides et commodes de transcription
directe, font reléguer dans l’ombre le procédé d’autrefois, réputé
bientôt arriéré et vieilli. Les seuls artistes, en dehors des anciens
maîtres du genre, qui, de 1835 à 1850 environ, tentent encore de
fixer sur pierre leur pensée, sont des isolés, ayant peu produit en
général, et qui suivent en cela un reste de mode ou d’attrait roman-
tique. Ce sont : Cham ou Bertall, en leurs œuvres de début; Édouard
de Beaumont, continuant Gavarni; le sentimental de Lemud, tout
imprégné d’influences allemandes, transmises par son ami Maréchal,
le peintre-verrier de Metz; Chassériau, l’exquis inventeur, maître
et guide de tout le mouvement mystique moderne, dont l’Apollon
et Daphné ou la Vénus Anadyamène sont comme les prémices de
l’art d’un Puvis de Chavanncs ou d’un Gustave Moreau; Diaz, en
quelques-unes de scs fantaisies romanesques; Gustave Doré ou
Charles Jacque, caricaturistes à l’origine, champions d’un roman-
tisme un peu embourgeoisé. On trouve dans le nombre des raretés
infiniment curieuses, comme Y Apôtre Jean Journet de Courbet ; le
Portrait de Baudelaire en 1844, de E. Deroy; un Semeur de Millet;
une Tête de femme de Cals, dont l’unique épreuve appartient à
M. Bouart. Seraient à signaler enfin, comme ayant pu aider le genre
à se survivre, et nous en ayant transmis, au moins, les derniers
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
seuls à ses côtés celle période de gloire à son déclin, Rafi'el et
Gavarni : l’un sorti de Charlet à l’origine, niais l’ayant incompara-
blement dépassé, historien scrupuleux, chroniqueur infaillible,
poète à l’occasion, qui sut faire tenir en ses vignettes, comme cer-
tains parnassiens en leurs sonnets, toute la grandeur d’une épopée,
et plus tard, se renouvelant, devint môme le premier de nos ethno-
graphes; l’autre, élégant homme du monde, brillant, fringant en
ses débuts, symbole de toute grâce et de toute jeunesse, qui se lit
peu à peu, au contact de la vie, une philosophie amère et désen-
chantée, et, semant ses folies ou ses désillusions, a toujours gardé
son allure de grand seigneur un peu bohème et le charme de son
crayon aux fraîcheurs veloutées. C’est le dernier mot, la dernière
fusée du feu d’artifice.
Après eux, de leur temps même, la lithographie s’éteint et
meurt. Daumier et Gavarni assistèrent, témoins impuissants et
attristés, à sa lente agonie. L’eau-forte, qui vient de renaître et dont
la nouveauté même est une séduction , attire désormais à elle toutes
les forces vives de la jeunesse, suscite tout un groupe de créateurs
nouveaux. La gravure sur bois, la photographie, toujours en progrès,
fournissant des moyens plus rapides et commodes de transcription
directe, font reléguer dans l’ombre le procédé d’autrefois, réputé
bientôt arriéré et vieilli. Les seuls artistes, en dehors des anciens
maîtres du genre, qui, de 1835 à 1850 environ, tentent encore de
fixer sur pierre leur pensée, sont des isolés, ayant peu produit en
général, et qui suivent en cela un reste de mode ou d’attrait roman-
tique. Ce sont : Cham ou Bertall, en leurs œuvres de début; Édouard
de Beaumont, continuant Gavarni; le sentimental de Lemud, tout
imprégné d’influences allemandes, transmises par son ami Maréchal,
le peintre-verrier de Metz; Chassériau, l’exquis inventeur, maître
et guide de tout le mouvement mystique moderne, dont l’Apollon
et Daphné ou la Vénus Anadyamène sont comme les prémices de
l’art d’un Puvis de Chavanncs ou d’un Gustave Moreau; Diaz, en
quelques-unes de scs fantaisies romanesques; Gustave Doré ou
Charles Jacque, caricaturistes à l’origine, champions d’un roman-
tisme un peu embourgeoisé. On trouve dans le nombre des raretés
infiniment curieuses, comme Y Apôtre Jean Journet de Courbet ; le
Portrait de Baudelaire en 1844, de E. Deroy; un Semeur de Millet;
une Tête de femme de Cals, dont l’unique épreuve appartient à
M. Bouart. Seraient à signaler enfin, comme ayant pu aider le genre
à se survivre, et nous en ayant transmis, au moins, les derniers