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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
arts graphiques en France n’avail subi un aussi redoutable et aussi brillant
examen, car, encore une fois, les Français triomphent, non de médiocrités, mais
au milieu de leurs pairs. Et puis, jamais assemblage n’avait semblé mieux uni. Aux
Salons annuels, même à Paris, on se rend moins compte de ce que peut l’esprit
de corps dans la section de la gravure; on est trop distrait par la couleur et la
sculpture... Est-ce bien les artistes français qu’il faut remercier de s’être présentés
en un si beau groupe, si bien rangés en bataille, avec des œuvres si judicieuse-
ment choisies'?... Hélas! non... c’est assez ironique à dire, mais toute leur expo-
sition est à peu près composée par les marchands d’estampes allemands, leurs
dépositaires. Chiffre exact, catalogue en main : 39 exposants français, dont 26,
les meilleurs, présentés par des marchands allemands ou autrichiens. A ce point
de vue, l’art français doit des remerciements sérieux à MM. Artaria, de Vienne,
Littauer et Piitze, de Munich, et surtout à M. Emil Ricbter, de Dresde.
Parmi les Belges et les Hollandais, il faut retenir deux noms; je viens de les
prononcer tout à l’heure : M. Storm van’s Gravesande, un poêle très spécial de la
vague et du courant des fleuves, et M. Marius Bauer, un orientaliste qui voit
l’Orient en eaux-fortes rembranesques. Au milieu de l’exposiLion de M. Storm,
qui nous représente surtout la vie des ports et des llcuves de son pays, leurs
aspects diurnes et nocturnes, les bateaux à vapeur illuminés, les débarcadères et
les estacades furieusement battues par la vague, les sinuosités mobiles que le
courant décrit à la surface des grands fleuves, une pointe sèche d’une sobriété
étonnante donne toute la chaleur, tout l’éclat métallique de la mer, tout l’aveu-
glement du ciel sur les lagunes de Venise en plein midi.
M. Marius Bauer n’est pas épris rien que de l’art arabe; il ne l’aime qu’ac-
compagné du grouillis des foules ottomanes. Le délabrement des architectures
fantastiques s’accommode on ne peut mieux, dans ses eaux-fortes, avec des instan-
tanés de vie de la rue, prise sur le fait au Caire et à Constantinople. Dans ses
intérieurs, il aime accumuler toutes les richesses d’Ali-Baba; il a évidemment
des analogies, et beaucoup, avec ce Villiers de l’Isle-Adam, dont il a paré ÏAkédys-
séril de si individuelles eaux-fortes.
Chez les Anglais, il faut signaler un précieux lot d’eaux-fortes vénitiennes,
de M.Whistler; des vues d'Italie, très fermes et très pittoresques de Cameron. Nous
passons sur M. Herkomer, à qui l’engouement bavarois et anglais a fait une noto-
riété trop vaste et dont on a tout acheté sans exception. M. Tissot, maniant l’eau-
forte, nous paraît supérieur à Tissot peintre. On aurait dû, du reste, le ranger
parmi les Français.
Pour ce qui est de MM. Zorn et Larson, si connus à Paris, nous n'en dirons
qu'une chose : c’est qu’ils ont été ici, à Vienne, tout à fait méconnus. L’exposition
de M. Zorn devrait être pourtant l'une des grandes attractions du Künst 1er haut,
si le goût du public viennois était mieux formé.
Un seul nom autrichien nous retiendra : celui de M. Anton Kaiser, dont la
vue orageuse de Dürrnstein, sur le Danube, et celle, au contraire très sereine, du
château de Runkelstein, dans les montagnes, témoignent d’un heureux don de
mise en scène à la Mannfeld, et de qualités de graveur de premier ordre. Il a, du
reste, été à bonne école pour cela. La réputation de son maître, le professeur
Unger, est européenne.
A'ers la fin de novembre, une autre exposition a attiré grand monde et mis
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
arts graphiques en France n’avail subi un aussi redoutable et aussi brillant
examen, car, encore une fois, les Français triomphent, non de médiocrités, mais
au milieu de leurs pairs. Et puis, jamais assemblage n’avait semblé mieux uni. Aux
Salons annuels, même à Paris, on se rend moins compte de ce que peut l’esprit
de corps dans la section de la gravure; on est trop distrait par la couleur et la
sculpture... Est-ce bien les artistes français qu’il faut remercier de s’être présentés
en un si beau groupe, si bien rangés en bataille, avec des œuvres si judicieuse-
ment choisies'?... Hélas! non... c’est assez ironique à dire, mais toute leur expo-
sition est à peu près composée par les marchands d’estampes allemands, leurs
dépositaires. Chiffre exact, catalogue en main : 39 exposants français, dont 26,
les meilleurs, présentés par des marchands allemands ou autrichiens. A ce point
de vue, l’art français doit des remerciements sérieux à MM. Artaria, de Vienne,
Littauer et Piitze, de Munich, et surtout à M. Emil Ricbter, de Dresde.
Parmi les Belges et les Hollandais, il faut retenir deux noms; je viens de les
prononcer tout à l’heure : M. Storm van’s Gravesande, un poêle très spécial de la
vague et du courant des fleuves, et M. Marius Bauer, un orientaliste qui voit
l’Orient en eaux-fortes rembranesques. Au milieu de l’exposiLion de M. Storm,
qui nous représente surtout la vie des ports et des llcuves de son pays, leurs
aspects diurnes et nocturnes, les bateaux à vapeur illuminés, les débarcadères et
les estacades furieusement battues par la vague, les sinuosités mobiles que le
courant décrit à la surface des grands fleuves, une pointe sèche d’une sobriété
étonnante donne toute la chaleur, tout l’éclat métallique de la mer, tout l’aveu-
glement du ciel sur les lagunes de Venise en plein midi.
M. Marius Bauer n’est pas épris rien que de l’art arabe; il ne l’aime qu’ac-
compagné du grouillis des foules ottomanes. Le délabrement des architectures
fantastiques s’accommode on ne peut mieux, dans ses eaux-fortes, avec des instan-
tanés de vie de la rue, prise sur le fait au Caire et à Constantinople. Dans ses
intérieurs, il aime accumuler toutes les richesses d’Ali-Baba; il a évidemment
des analogies, et beaucoup, avec ce Villiers de l’Isle-Adam, dont il a paré ÏAkédys-
séril de si individuelles eaux-fortes.
Chez les Anglais, il faut signaler un précieux lot d’eaux-fortes vénitiennes,
de M.Whistler; des vues d'Italie, très fermes et très pittoresques de Cameron. Nous
passons sur M. Herkomer, à qui l’engouement bavarois et anglais a fait une noto-
riété trop vaste et dont on a tout acheté sans exception. M. Tissot, maniant l’eau-
forte, nous paraît supérieur à Tissot peintre. On aurait dû, du reste, le ranger
parmi les Français.
Pour ce qui est de MM. Zorn et Larson, si connus à Paris, nous n'en dirons
qu'une chose : c’est qu’ils ont été ici, à Vienne, tout à fait méconnus. L’exposition
de M. Zorn devrait être pourtant l'une des grandes attractions du Künst 1er haut,
si le goût du public viennois était mieux formé.
Un seul nom autrichien nous retiendra : celui de M. Anton Kaiser, dont la
vue orageuse de Dürrnstein, sur le Danube, et celle, au contraire très sereine, du
château de Runkelstein, dans les montagnes, témoignent d’un heureux don de
mise en scène à la Mannfeld, et de qualités de graveur de premier ordre. Il a, du
reste, été à bonne école pour cela. La réputation de son maître, le professeur
Unger, est européenne.
A'ers la fin de novembre, une autre exposition a attiré grand monde et mis