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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vère1, cette opulente tille d’Italie, brune et savoureuse, à la poitrine
d’ambre, aux hanches larges, aux attaches un peu lourdes, peut-
être —■ seul indice de l’origine plébéienne — aux yeux veloutés, et
s’éprenant follement, jusqu’à offrir son nom, son titre, jusqu’à sa-
crifier ses attaches de famille, et les espérances conçues pour lui, cl
les projets formés par les siens, et consommant la mésalliance que
ne lui pardonnera jamais son aristocratique famille. Puis, la femme
installée au foyer d’une seigneuriale demeure, vivant, j’en ai peur,
en recluse, mais en recluse adorée, comblée de bonheur, et aimante,
et reconnaissante.
Ingres dut subir la séduction de cette beauté. Il étudia avec
ferveur le portrait de cette désirable amante.
Il s’était souvenu d’abord qu’il avait vu autrefois son maître
David peindre le portrait de Mme Récamier, aujourd’hui au Louvre.
Il rêva de représenter, lui aussi, Mme de Senonnes étendue sur un
lit de repos et l’étudia même ainsi. En lin de compte, cette attitude
fut abandonnée, et l’artiste donna la toile que nous admirons et que
plus d’un espère bien revoir, en 1900, à l’Exposition rétrospective
des Beaux-Arts, dont elle sera l’un des joyaux.
Mme de Senonnes est assise, dans une pose abandonnée, devant
une glace qui reflète sa tête sombre, ses épaules pleines et le haut
de son dos, sur un divan de satin jaune d’un ton un peu dur, sabré
d’ombres grises, froides toujours. Elle est vêtue d’un fourreau de
velours grenat, aux plis miroitants, aux manches fendues de crevés
de satin blanc, et ceinte, très haut, sous les seins, d’un large ruban
blanc. Une « modestie » de blonde voile la gorge idéale, ronde,
transparente, savoureuse comme un beau fruit, et s’épanouit en une
nuageuse collerette à la naissance du cou, svelte comme un fut grec ;
une dentelle pareille s’interpose entre le lourd velours des manches
et les mains, fuselées, mais un peu épaisses, je l’ai dit, chargées de
bagues à l’index et à l’annulaire ; une écharpe, un châle des Indes,
pareil à celui du portrait de Mme Rivière, pointillé, striée ocellé de
patientes, dévoyantes broderies, ondule parmi les coussins jaunes.
Mais la splendeur opulente du velours, la diaphanéité des den-
telles, la richesse des joailleries, l’éclat des broderies, tout cela dis-
parait devant le rayonnement apaisé des deux yeux tixes, veloutés,
vivants. La figure, qui n’est pas régulièrement belle, avec son nez un
peu petit, sa bouche futile, puérile, la figure, sous les bandeaux noirs,
■i. Te Portrait de Mme de Senonnes a été connu aussi sous le Litre de Une Trans-
tévérine. Siret, notamment, lui attribue cette désignation.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
vère1, cette opulente tille d’Italie, brune et savoureuse, à la poitrine
d’ambre, aux hanches larges, aux attaches un peu lourdes, peut-
être —■ seul indice de l’origine plébéienne — aux yeux veloutés, et
s’éprenant follement, jusqu’à offrir son nom, son titre, jusqu’à sa-
crifier ses attaches de famille, et les espérances conçues pour lui, cl
les projets formés par les siens, et consommant la mésalliance que
ne lui pardonnera jamais son aristocratique famille. Puis, la femme
installée au foyer d’une seigneuriale demeure, vivant, j’en ai peur,
en recluse, mais en recluse adorée, comblée de bonheur, et aimante,
et reconnaissante.
Ingres dut subir la séduction de cette beauté. Il étudia avec
ferveur le portrait de cette désirable amante.
Il s’était souvenu d’abord qu’il avait vu autrefois son maître
David peindre le portrait de Mme Récamier, aujourd’hui au Louvre.
Il rêva de représenter, lui aussi, Mme de Senonnes étendue sur un
lit de repos et l’étudia même ainsi. En lin de compte, cette attitude
fut abandonnée, et l’artiste donna la toile que nous admirons et que
plus d’un espère bien revoir, en 1900, à l’Exposition rétrospective
des Beaux-Arts, dont elle sera l’un des joyaux.
Mme de Senonnes est assise, dans une pose abandonnée, devant
une glace qui reflète sa tête sombre, ses épaules pleines et le haut
de son dos, sur un divan de satin jaune d’un ton un peu dur, sabré
d’ombres grises, froides toujours. Elle est vêtue d’un fourreau de
velours grenat, aux plis miroitants, aux manches fendues de crevés
de satin blanc, et ceinte, très haut, sous les seins, d’un large ruban
blanc. Une « modestie » de blonde voile la gorge idéale, ronde,
transparente, savoureuse comme un beau fruit, et s’épanouit en une
nuageuse collerette à la naissance du cou, svelte comme un fut grec ;
une dentelle pareille s’interpose entre le lourd velours des manches
et les mains, fuselées, mais un peu épaisses, je l’ai dit, chargées de
bagues à l’index et à l’annulaire ; une écharpe, un châle des Indes,
pareil à celui du portrait de Mme Rivière, pointillé, striée ocellé de
patientes, dévoyantes broderies, ondule parmi les coussins jaunes.
Mais la splendeur opulente du velours, la diaphanéité des den-
telles, la richesse des joailleries, l’éclat des broderies, tout cela dis-
parait devant le rayonnement apaisé des deux yeux tixes, veloutés,
vivants. La figure, qui n’est pas régulièrement belle, avec son nez un
peu petit, sa bouche futile, puérile, la figure, sous les bandeaux noirs,
■i. Te Portrait de Mme de Senonnes a été connu aussi sous le Litre de Une Trans-
tévérine. Siret, notamment, lui attribue cette désignation.