Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Per. 19.1898

DOI issue:
Nr. 1
DOI article:
Babin, Gustave: Madame de Senonnes par Ingres
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.24683#0032
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
MADAME DE SENONNES PAR INGRES

25

en est illuminée. Une flamme alanguie sommeille au plus profond
de leurs prunelles sombres, commente la pose abandonnée du corps,
la morbidesse du geste, l’indolence des mains qui pendent, molles.

C’est une radieuse toile, et je ne vois guère, dans ce que je
connais de l'œuvre d’Ingres, une page qui puisse éclipser celle-là.

Le portrait, on l’a vu, fut incomplètement payé au peintre. Il
devait, avant d'arriver par hasard au Musée de Nantes, avoir de plus
tristes fortunes.

D’abord, s’il figura au Salon de 1814, dont le livret mentionne
simplement, sous un numéro unique, « plusieurs portraits», il n’y
obtint pas tout le succès qu’avait escompté son auteur. Voici, du
moins, comment M. Boutard, beau-frère de Berlin, jugeait dans les
Débats, sans le désigner autrement, l’unique portrait qui eût attiré
sa vue: « Cet ouvrage, sans être tout à fait exempt de l’affectation
accoutumée, nous détermine cependant à redoubler d’instance auprès
de Fauteur pour l’engager à revenir, pendant qu'il en est temps
encore, à la manière des maîtres du commencement du xvi° siècle
et de la fin du xvme siècle. » Etait-ce de la toile en question qu’il
s’agissait ?...

Mais ne jugeons point, de crainte d’être jugé à notre tour!

Le portrait retourna à Borne, je pense, le Salon fermé.

Un jour, il lui fallut quitter le palais romain. L’exquise créature
qu’il immortalise déserta, pour un trou dans la terre inondée de soleil,
la demeure enchantée où elle avait rayonné quelques années. Son
souvenir même ne lui survécut pas longtemps, dit-on : M. Alexandre
de Senonnes se remaria. La séduisante effigie fut bannie des lambris
où elle avait trôné un temps, exilée en pays froid, chez le marquis
de Senonnes, et j’imagine que, plus d’une fois, même dans la « doul-
ceur angevine » chantée par le poète, une brume de regret flotta sur
les beaux yeux de l’Italienne.

Puis, ce fut une autre misère. Le vicomte Alexandre était mort ;
le marquis Pierre disparut à son tour. Les héritiers se refusèrent à
conserver dans leur galerie de famille la jolie intruse. Mme de Se-
nonnes avait bien, paraît-il, laissé un fils ; mais il voyageait, raconte
la légende, à l’étranger. Le chef-d’œuvre d’Ingres fut vendu contre
cent vingt francs, plus un guéridon d’acajou, du plus pur style en
vogue, à un brocanteur d’Angers, M. Bonnin. C’était en 1851.

En 1853 seulement, la splendide toile arriva à Nantes.

Un amateur éclairé, membre de la commission du Musée de
Nantes, le baron de Wismes, l’avait dénichée dans la boutique de

XIX. — 3 e PÉRIODE.
 
Annotationen