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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 20.1898

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Nr. 2
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Momméja, Jules: La jeunesse d'Ingres, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24684#0106

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

l’enrôler sous leur bannière, car l’honnête Toulousain, poussé par les
forces vives de l’hérédité, les eût devancés s’il eût possédé la moindre
parcelle de génie. Dans le domaine des lettres, le même esprit pré-
dominait, au point que, dans la plupart des œuvres en langage lan-
guedocien, s’affiche l’intention d’imiter les anciens. Toute la pâle
poésie méridionale est foncièrement classique; elle ne sacrifie que
bien rarement à l’esprit français. Tout homme qui pensait et écrivait
était invariablement latiniste et, la plupart du temps, italianisant :
la première traduction française du Roland furieux fut faite à Mon-
tauban par Jean Former. D’autres, plus zélés encore, s’attaquaient
au grec, tels Hugues Salel, qui traduisit le premier le poème d’Homère
et Le Franc de Pompignan, auquel on doit la première version fran-
çaise des tragédies d’Eschyle. La Guyenne et le Languedoc étaient
romains dans toutes leurs moelles et le manifestaient en tout.
Ingres, né quelques années avant la Révolution, avait vu des consuls
dans toutes les villes, et il aurait pu connaître d’honnêtes bourgeois
de Gahors qui croyaient de bonne foi descendre de sénateurs ro-
mains1.

Lorsque les instincts d’un peuple sont aussi vivaces et aussi
nettement caractérisés, il est bien rare qu'il ne surgisse pas un
homme supérieur pour leur donner une formule indélébile.

Le Midi, épuisé par trois siècles de guerre, n’avait pu produire ni
de grands poètes, ni de grands artistes. Un seul génie en était sorti,
Format, mais s’était entièrement voué aux sciences exactes. A la
fin du xvme siècle, le champ était libre encore, et l’homme en qui
s’incarnerait l'esprit de sa race pouvait se produire, avant que cet
esprit eût totalement dépouillé son originalité. Ingres naquit à temps
pour être cet homme-là; et tous les traits bons ou mauvais de la
grande famille gasconne se retrouvent plus ou moins accusés en lui,
avec des nuances particulières qu’il tirait de son origine montalba-
naise.

II

A la veille de la Révolution, Montauban était encore plus pau-
vre en artistes que les autres villes du sud-ouest; mais, s’il est vrai
que les troubles politiques, l’énergie et l’activité fiévreuse des esprits
sont l’atmosphère indispensable à la gestation du génie, nulle cité
provinciale, peut-être, n’était plus propre à servir de berceau au

I. Voir sur ce curieux sujet VHistoire de la province de Qucrcy, par Guillaume
Lacoste. Gahors, 1883, t. I, p. 229, et II et III, passim.
 
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