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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
peu près désertes pour s’apercevoir qu’à l’époque romaine elles
étaient, au contraire, très habitées. Une grande voie de communica-
tion, partant de Lambèse, voisine de Batna, allait rejoindre Tébessa;
tout son parcours est semé de restes d’établissements agricoles ; elle
traversait plus d’une grande cité, riche en hommes et en monu-
ments. Le passé forme ainsi avec le présent un contraste dont il
est permis de s’affliger.
C’est dans une de ces villes mortes que nous voudrions con-
duire le lecteur.
Depuis quinze ans, le service des Monuments historiques, sous
l’inspiration successive de MM. Duthoit, Emile Boeswillwald, Alb.
Ballu, travaille à la rendre à la lumière; la partie la plus impor-
tante do ses ruines, sinon la plus étendue, a été déblayée, et l’on
peut, dès maintenant, se faire une idée suffisante de ce qu’elle était
jadis.
Elle a nom Timgad, on, pour employer le mot berbère, latinisé
ensuite, Thamugadi. C’est une fondation de l’empereur Trajan.
Groupant autour d’un gîte d’étapes créé par l’un de ses prédé-
cesseurs les indigènes des environs, quelques colons enrichis et
aussi, sans doute, des vétérans de la légion romaine campée à Lam-
bèse, ce prince leur donna, en l’année 100 après Jésus-Christ, un
emplacement pour s’établir, des édifices publics pour se réunir, et
surtout leur accorda la qualité de citoyens d’une colonie romaine,
par où leur agglomération devenait en un jour, au centre d’un pays
barbare, une image fidèle de la ville de Rome, avec son prestige et
ses privilèges politiques. Fille de l’empereur, Timgad arriva, dès
son enfance, à sa plus grande prospérité ; tous les grands monu-
ments qu’on y retrouve sont du 11e siècle de notre ère. Elle demeura
llorissante durant tout l’empire, comme le prouvent les embellisse-
ments et les restaurations apportés à ses édifices pendant les siècles
suivants, et ne déclina qu’avec la puissance romaine. Il est certain
qu’elle survécut à l’invasion vandale. Lors de l’arrivée des Byzan-
tins, elle était encore grande et peuplée. Mais les tribus de l'Aurès,
pour empêcher les Grecs de s’y établir, en chassèrent les habitants et
la détruisirent par le fer comme par le feu. Le général de Justinien,
Solomon, n’y trouva plus que des ruines. Il se contenta d’y prendre
des pierres, pour bâtir une grande et belle forteresse destinée à com-
mander toute la région. A l’abri des armes byzantines, la ville re-
couvra alors une apparence de vie; les monuments publics, à moitié
écroulés, ne furent pas relevés ; mais de nouvelles maisons s’éle-
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peu près désertes pour s’apercevoir qu’à l’époque romaine elles
étaient, au contraire, très habitées. Une grande voie de communica-
tion, partant de Lambèse, voisine de Batna, allait rejoindre Tébessa;
tout son parcours est semé de restes d’établissements agricoles ; elle
traversait plus d’une grande cité, riche en hommes et en monu-
ments. Le passé forme ainsi avec le présent un contraste dont il
est permis de s’affliger.
C’est dans une de ces villes mortes que nous voudrions con-
duire le lecteur.
Depuis quinze ans, le service des Monuments historiques, sous
l’inspiration successive de MM. Duthoit, Emile Boeswillwald, Alb.
Ballu, travaille à la rendre à la lumière; la partie la plus impor-
tante do ses ruines, sinon la plus étendue, a été déblayée, et l’on
peut, dès maintenant, se faire une idée suffisante de ce qu’elle était
jadis.
Elle a nom Timgad, on, pour employer le mot berbère, latinisé
ensuite, Thamugadi. C’est une fondation de l’empereur Trajan.
Groupant autour d’un gîte d’étapes créé par l’un de ses prédé-
cesseurs les indigènes des environs, quelques colons enrichis et
aussi, sans doute, des vétérans de la légion romaine campée à Lam-
bèse, ce prince leur donna, en l’année 100 après Jésus-Christ, un
emplacement pour s’établir, des édifices publics pour se réunir, et
surtout leur accorda la qualité de citoyens d’une colonie romaine,
par où leur agglomération devenait en un jour, au centre d’un pays
barbare, une image fidèle de la ville de Rome, avec son prestige et
ses privilèges politiques. Fille de l’empereur, Timgad arriva, dès
son enfance, à sa plus grande prospérité ; tous les grands monu-
ments qu’on y retrouve sont du 11e siècle de notre ère. Elle demeura
llorissante durant tout l’empire, comme le prouvent les embellisse-
ments et les restaurations apportés à ses édifices pendant les siècles
suivants, et ne déclina qu’avec la puissance romaine. Il est certain
qu’elle survécut à l’invasion vandale. Lors de l’arrivée des Byzan-
tins, elle était encore grande et peuplée. Mais les tribus de l'Aurès,
pour empêcher les Grecs de s’y établir, en chassèrent les habitants et
la détruisirent par le fer comme par le feu. Le général de Justinien,
Solomon, n’y trouva plus que des ruines. Il se contenta d’y prendre
des pierres, pour bâtir une grande et belle forteresse destinée à com-
mander toute la région. A l’abri des armes byzantines, la ville re-
couvra alors une apparence de vie; les monuments publics, à moitié
écroulés, ne furent pas relevés ; mais de nouvelles maisons s’éle-